Par "petites touches", Bordeaux végétalise la ville

En 2018 sur une place de Bordeaux, un conseiller municipal d'opposition s'enchaînait avec des militants écologistes à des marronniers septuagénaires promis à l'abattage. Devenu maire en 2020, Pierre Hurmic tente, par "petites touches", de faire de cette ville minérale un modèle de renaturation et de végétalisation, comme ses homologues verts à Lyon ou Strasbourg.

L'élu EELV, qui voit les arbres comme "nos meilleurs alliés contre le changement climatique", n'a jamais voulu inaugurer cette place achevée après son élection.

Pour celui qui a mis fin à 73 ans de règne de la droite, elle est l'héritage de la précédente majorité qui a "beaucoup trop bétonné" en menant de grands projets de réaménagement urbain sans tenir compte du changement climatique.

"Alain Juppé a certes transformé la ville autour de son fleuve, ses quais et son tramway mais la seule chose qu'il a oubliée, c'est de végétaliser", estime Didier Jeanjean, adjoint à la nature en ville et aux mobilités.

"S'il l'avait fait, on aurait aujourd'hui de grandes places ombragées" et moins d'ilots de chaleur, suggère-t-il. Une aide bienvenue à l'heure où les 40 C° deviennent récurrents à Bordeaux.

Classée à l'Unesco pour son patrimoine de pierre, cette ville affiche seulement "20 m2" d'espace verts publics par habitant, selon M. Jeanjean, contre 51 m2 en moyenne dans les 50 plus grandes villes françaises d'après l'Observatoire des villes vertes.

Et la municipalité doit composer avec les 386 hectares bordelais de l'opération d'aménagement Euratlantique, pilotée par l'État: un "caillou dans la chaussure" selon M. Hurmic.

Même s'il siège désormais au conseil d'administration, le maire continue à juger que ce programme de milliers de bureaux, commerces et logements ne répond pas à "l'urgence climatique" qu'il a décrétée.

Celui qui se voit "comme le maire du quotidien et du lendemain" s'est engagé à mettre les 260.000 Bordelais à moins de dix minutes de marche d'un espace de verdure ombragé d'ici la fin de son mandat en 2026.

Et toutes les actions municipales doivent maintenant respecter la "trame verte" visant à doter la ville d'une "charpente de nature et de biodiversité", explique M. Jeanjean.

- "Pointillisme" -

Si certains reprochent schématiquement aux Verts de planter des arbres sur des places de stationnement, l'adjoint revendique la démarche: "Moins il y a de place pour la voiture, moins il y a de voitures", dit-il. "Cela s'est encore vérifié sur les boulevards", cet axe crucial de 12 km où les voitures ne circulent plus que sur une voie, l'autre étant désormais réservée aux bus et vélos.

La ville prévoit de planter 13.000 arbres cette année mais sa priorité est de "désartificialiser" pour garder l'eau, grâce à des pavés à joints enherbés, fosses élargies autour des arbres, terre-plein centraux débitumés, explique Didier Jeanjean.

"Des sols plus perméables, c'est un couvert végétal qui maintient l'humidité, des arbres plus forts contre la canicule et l'atmosphère rafraîchie par l'évapotranspiration", détaille-t-il.

Bordeaux décline cette stratégie en adaptant ses 113 cours d'école pour un budget de 18,5 M EUR sur 10 ans.

A l'école Jacques-Prévert, 450 m2 de bitume ont été remplacés par des copeaux de bois perméables et des plantations pour réduire "l'effet plancha", explique Cécile Prat, cheffe de projet.

M. Jeanjean valorise aussi les neuf "micro-forêts" bordelaises. La première, gagnée sur un parking de 12 places en pleine ville, avait suscité quelques moqueries il y a deux ans. Aujourd'hui certaines plantations atteignent deux mètres.

"300 m2, c'est petit mais ça change tout en terme de biodiversité dans ce quartier qui en manquait: maintenant il y a des papillons, des abeilles, des oiseaux", juge Didier Jeanjean.

Mais pour l'ancien maire Nicolas Florian (LR), successeur d'Alain Juppé, les "petites touches" de l'équipe Hurmic relèvent "plutôt du pointillisme".

"Ils annoncent beaucoup mais reprennent ce que faisaient les autres avant eux, en l'enrobant un peu", dit-il.

Le député Renaissance Thomas Cazenave remarque que le programme "Plan de reconquête végétale de la ville" baisse dans le budget 2023.

Déplorant de "l'immobilisme", il voit "un écart considérable entre les engagements de campagne et ce que les Bordelais constatent. Or dans une collectivité, ce qui n'est pas déjà largement engagé à mi-mandat ne sera jamais réalisé".