La terre nue à perte de vue, un ballet incessant de camions de plusieurs mètres de haut et des terrasses dans la falaise de craie: à Penly, le chantier de la relance du nucléaire mené à marche forcée par le gouvernement redessine le paysage de la côte d'Albâtre.
Près de Dieppe, sur le site de la centrale nucléaire EDF de Penly, les travaux préparatoires à la construction de deux nouveaux réacteurs EPR2 s'étirent sur un chantier titanesque de 155 hectares.
Avec les tractopelles et des bulldozers parmi les plus grands de la planète, ce sont plus de 200 engins de plusieurs dizaines de tonnes qui mènent un balai incessant pour le terrassement du site.
Ces travaux préparatoires ont débuté le 1er juillet 2024, après la publication d'un décret d'autorisation environnementale, mais il faudra encore attendre "fin 2026" et le décret d'autorisation de création pour que le chantier de construction en lui-même des réacteurs soit "définitivement lancé", indique Frédéric Hennion, directeur de projet EPR2 à Penly.
D'ici-là, l'exploitant nucléaire EDF doit arrêter avant la fin de l'année le devis et le planning du programme EPR2 comprenant la construction de 6 réacteurs dont la mise en service du premier, à Penly, a été décalée à 2038 au lieu de 2035.
En nommant en mai dernier un pilote à la tête d'EDF venu du nucléaire (Framatome), Bernard Fontana, l'Etat a fixé comme priorité d'accélérer la mise en oeuvre du programme.
En attendant, d'énormes camions transportant chacun 30 tonnes de craie se suivent à la queue leu leu sur les chemins blancs du chantier de Penly, qui accueillera à son pic environ 10.000 personnes.
A mesure que les travaux préparatoires avancent (facilités par la loi d'accélération du nucléaire de 2023), la feuille de route énergétique de la France, le décret PPE3, objet de débats enflammés dans la classe politique entre pro-nucléaires et partisans des renouvelables, se fait elle toujours attendre.
La précédente PPE avait acté la fermeture de centrales nucléaires.
- Méga chantier -
D'abord prévu en 2027, le "premier béton", jargon du secteur pour qualifier la première pierre du bâtiment réacteur, est attendu pour fin 2028.
Un retard justifié par la nécessité d'obtenir "une maturation la plus élevée possible du projet et éviter les retours en arrière".
Plus volumineux de 20 à 30% par rapport aux réacteurs d'ancienne génération, les deux EPR2 de Penly seront logés au creux de la falaise de craie, "reprofilée", c'est-à-dire creusée, de 40 mètres.
Arrachés à la pelleteuse, les 3 à 4 millions de mètres cube de craie de cette falaise sont transportés jusqu'à la Manche pour créer une extension de 20 hectares gagnés sur la mer pour construire des ateliers et des zones de travail ou de stockage.
Un enrochement avec du granit venu de Norvège protège ce nouvel estran artificiel où 13.500 blocs de béton feront office de brise-lame pour cette digue en craie d'1,4 km.
Cent mètres au-dessus des réacteurs, le "haut de site" de 100 hectares au sommet de la falaise accueillera un parking de 2.000 places, deux mini usines à béton (appelées +centrales+ NDLR), une gare routière et sept sas censés "fluidifier" l'entrée des véhicules.
Entre les deux, plusieurs paliers à 44, 64 et 80 mètres d'altitude verront l'apparition de bases de vie et de bureaux.
Eiffage, présent sur le site avec deux centrales à béton, en coule 500 m3 par jour. Au total, ce seront 1.200.000 m3 que l'entreprise de BTP devra produire pour la construction des cubes de la digue, des bâtiments d'infrastructures et des réacteurs.
Une quantité de béton "astronomique" selon Nicolas Beaujot, directeur de site chez Eiffage qui y gère déjà 700 employés.
Ce "méga chantier" est un "séisme pour le territoire" pour Paul Lhotellier, président du groupe de travaux publics du même nom, implanté depuis 106 ans en Normandie.
Vingt de ses employés ont travaillé pendant deux ans sur le nouveau parking et cent autres sur les aménagements alentours.
Un pari gagné pour celui qui ne souhaitait pas rester "spectateur" de la transformation de son territoire.