Le projet de Cigéo à Bure (Meuse), où doivent être enfouis à partir de 2050 les déchets nucléaires les plus dangereux, a franchi jeudi une étape clé avec la publication de l'avis technique du gendarme du nucléaire, qui juge ses conditions de sûreté "satisfaisantes" en l'état.
Avec cet avis, fruit de 30 mois d'expertise et d'instruction, le projet peut désormais être soumis aux consultations obligatoires de l'enquête publique, attendue à l'automne 2026.
Il reviendra ensuite au gouvernement de délivrer l'autorisation de création du site à travers un décret pris en Conseil d'État, au mieux en 2028.
"C'est une étape clé, très importante, mais ce n'est pas la fin de l'histoire", a déclaré à l'AFP Pierre Bois, directeur général adjoint de l'Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection (ASNR). De fait, bien des phases techniques et réglementaires jalonneront ce projet hors norme qui doit s'étaler sur 150 ans, de sa construction jusqu'à la fermeture définitive du stockage vers 2170.
Lancé en 1991, le projet Cigéo, contesté par des écologistes et des associations locales, doit accueillir à 500 mètres sous terre des déchets de centrales nucléaires devant rester hautement radioactifs pendant plusieurs centaines de milliers d'années. Au total, 83.000 mètres cubes, dont la moitié déjà produits, sont destinés à reposer dans des alvéoles. Ces tunnels de stockage accueilleront les déchets les plus nocifs, à "haute activité", ainsi que les déchets dits de "moyenne activité à vie longue".
Cet avis, présenté jeudi au Parlement, apporte un éclairage technique sur le dossier de demande de création, déposé début 2023 par l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra), mais sans constituer "un feu vert", a souligné l'ASNR.
"Sur de nombreux points", l'évaluation préliminaire de sûreté présentée par l'Andra dans son dossier est "satisfaisante", donc conforme aux attendus réglementaires, a déclaré Pierre Bois, devant les parlementaires de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques.
Pour autant, "d'autres compléments" devront ensuite être apportés par l'Andra à l'occasion des grands jalons du projet et jusqu'à la mise en service progressive de Cigéo prévue à l'horizon 2050 avec le dépôt des premiers colis radioactifs.
- "Sentiment du fait accompli" -
Parmi les sujets de vigilance identifiés, certains portent sur la performance des ouvrages de scellement bouchant les galeries souterraines, la vitesse de corrosion des conteneurs métalliques contenant les déchets "haute activité", la maîtrise du risque d'explosion dans les alvéoles et la maîtrise du risque d'incendie en cas de stockage de colis de déchets bitumés, des boues radioactives conditionnées dans du bitume et qui présentent un risque d'échauffement.
"Malgré toutes ces lacunes, vous donnez un avis favorable et vous demandez à l'Andra de faire cette démonstration (de sûreté) plus tard", y compris après le lancement de la construction, s'est étonné le député LFI Maxime Laisney, membre de l'Opecst, en évoquant une situation qui "renforce le sentiment du fait accompli".
Au contraire, cet avis n'est pas "un chèque en blanc", a souligné auprès de l'AFP, Lydie Evrard, directrice générale de l'Andra, qui "s'est engagé" à apporter des réponses "par étapes" et à les communiquer "en transparence". Après "30 ans d'expérimentation et d'études de sûreté (...) c'est un travail de longue haleine qui se poursuit", a-t-elle ajouté.
En cas de feu vert, le projet débutera par une phase pilote "permettant de conforter le caractère réversible et la démonstration de sûreté de l'installation, notamment par un programme d'essais", précise la loi.
Le site a été pensé pour accueillir les déchets existants et futurs des installations nucléaires déjà autorisées à fin 2016, ce qui comprend les réacteurs actuels d'EDF dont l'EPR de Flamanville, les sites d'Orano (cycle du combustible) et du CEA (recherche), mais pas les déchets des six nouveaux réacteurs que le gouvernement veut construire. Si bien que toute extension de capacité devra faire l'objet d'une nouvelle autorisation.
La France a fait le choix d'un stockage dans une couche géologique argileuse profonde, âgée de 160 millions d'années, censée garantir la protection radiologique, tandis que la Suède et la Finlande ont opté pour un terrain granitique.