Notre-Dame-des-Landes, "la plus longue lutte de France"

Quarante-cinq ans après les premières manifestations d'agriculteurs contre la construction d'un aéroport à Notre-Dame-des-Landes, près de Nantes, "la plus longue lutte de France" est devenue un emblème de la contestation contre les grands projets d'infrastructures.

En 1972, alors que la protestation grandit contre l'extension du camp militaire du Larzac, un autre front s'ouvre 800 km plus au nord. Dans le bocage nantais, un "comité de défense provisoire" des 130 exploitations agricoles impactées par un projet d'aéroport "intercontinental" est créé, prélude à la naissance, le 18 décembre, de la première association anti-aéroport, l'Adeca.

La mobilisation paysanne s'accélère après la création, en janvier 1974, d'une zone d'aménagement différé (ZAD) de 1.225 hectares sur quatre communes, dont Notre-Dame-des-Landes, entraînant la préemption des terres. Les premiers macarons "Non à l'aéroport" sont diffusés en Loire-Atlantique pour populariser la lutte au-delà du monde agricole.

"Les premières manifestations visent à empêcher les terres de tourner en friche et épauler les jeunes qui voulaient prendre la suite de leurs parents", se souvient Julien Durand, 71 ans, mémoire de la contestation anti-aéroport.

Cette première bataille est gagnée: la gauche arrive au pouvoir en 1981, les opposants au projet d'aéroport -mis en sommeil après le choc pétrolier- obtiennent du ministère des Transports des conventions d'occupation précaire.

"Mitterrand venait d'arrêter le Larzac. Pour nous l'aéroport était déjà mort, tout le monde avait le droit à un bail, aux aides de l'Etat. Toute la génération d'agriculteurs aujourd'hui expropriés et expulsables s'est installée dans les années 80, de façon officielle", souligne Dominique Fresneau, 57 ans, opposant depuis ses 12 ans.

- L'occupation, 'tournant' de la lutte -

Quand le gouvernement Jospin relance le projet à l'automne 2000, la réaction des riverains est immédiate, avec la création de l'Acipa, association revendiquant aujourd'hui plus de 3.500 adhérents. "On assiste à un phénomène assez curieux: la résistance très locale au départ perd beaucoup de ses militants historiques par lassitude, mais la mobilisation s'étend, grâce aux prises de contact avec les associations environnementales et les partis politiques", raconte Claude Colas, l'un des neuf co-fondateurs de l'Acipa.

Lancée en 2003 par 14 organisations, la "Coordination des opposants" au projet d'aéroport fédère aujourd'hui plus de 60 associations, mouvements politiques, syndicats et collectifs. "On a réussi à globaliser. La lutte est connue maintenant dans la France entière et même au-delà, et elle fait référence parmi tous les grands projets inutiles et imposés", se réjouit M. Colas.

Pour lui, "c'est l'occupation du terrain qui a été le tournant dans la lutte".

"C'est vraiment avec la tenue d'un camp action climat, en août 2009, que quelque chose se passe", abonde "Camille" (prénom utilisé par les zadistes qui souhaitent rester anonymes), occupant de longue date de la ZAD. "Dans la foulée, on a une série d'installations dans des maisons vides et disponibles, puis des gens commencent à construire leurs cabanes", explique-t-il.

Une trentaine de fermes ou d'habitats auto-construits sont squattés en octobre 2012, quand les autorités lancent "l'opération César", une tentative d'expulsion massive de plusieurs semaines qui va s'achever en échec cuisant pour l'Etat et qui cimentera les liens entre agriculteurs, riverains, écologistes et militants anticapitalistes.

- Une unité fragile ? -

Le 17 novembre 2012, entre 13.500 et 40.000 opposants, dont des personnalités de gauche, se rendent sur la ZAD pour dénoncer "l'Ayraultport", en référence au Premier ministre d'alors, l'ancien maire PS de Nantes Jean-Marc Ayrault, ardent défenseur du projet.

Depuis, à chaque nouvelle promesse d'intervention pour déloger les "zadistes", les opposants répondent en masse, comme en octobre 2016 quand ils plantent des milliers de bâtons pour "défendre la ZAD".

Radicalisée jusqu'à devenir l'un des symboles de la contestation anti-Etat, "la plus longue lutte de France reste une lutte pour le maintien des terres agricoles et contre le gaspillage de l'argent public. Si elle tient encore aujourd'hui, c'est grâce à son enracinement local qui n'a jamais failli", prévient Julien Durand, conscient qu'un consensus sera "difficile à trouver" entre les différentes composantes de la lutte sur l'avenir "sans aéroport".

Déjà, l'unité semble se craqueler entre les tenants d'une "normalisation" de la ZAD, avec un Etat propriétaire des terres, comme au Larzac, et ceux désireux de poursuivre une gestion collective des terres "hors système".

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