Néonicotinoïdes: la majorité achoppe sur le virage écologique

Les uns défendent leurs convictions vertes, les autres une "écologie du pragmatisme": le vote mardi par l'Assemblée sur le retour des néonicotinoïdes tueurs d'abeilles a révélé un profond clivage dans la majorité sur les questions environnementales.

Le gouvernement le martèle: "il n'y a pas de renoncement" sur l'écologie, qui s'annonce comme l'un des enjeux de la prochaine présidentielle et dont Emmanuel Macron s'est saisi.

"Nous défendons le plan de relance qui prévoit plus de 30 milliards d'euros pour la transition écologique", a rappelé son porte-parole Gabriel Attal, mercredi à la sortie du Conseil des ministres.

Le message est brouillé depuis l'adoption mardi du projet de loi polémique réautorisant temporairement les néonicotinoïdes, ces insecticides tueurs d'abeille.

Le ministre de l'Agriculture Julien Denormandie s'est félicité d'un vote à "une large majorité", par 313 voix contre 158. "Il fallait ce courage" car "l'écologie est confrontée au réel" du besoin de ces insecticides pour lutter contre la jaunisse de la betterave et "sauver une filière et 46.000 emplois", a-t-il encore appuyé mercredi sur Europe 1.

Mais son texte a suscité un record de contestation interne depuis le début de quinquennat: pas moins de 32 députés LREM ont voté contre et 36 se sont abstenus, soit un quart des quelque 270 membres du groupe macroniste dirigé depuis septembre par Christophe Castaner. Environ un quart des députés MoDem et Agir, alliés de la majorité, ont fait de même.

Et près d'une trentaine de "marcheurs" n'ont pas participé au scrutin. "Ils l'ont fait sciemment", alors que le "groupe a fait un maximum de retape pour faire voter tout le monde", affirme un député.

Des divisions ont traversé la plupart des groupes politiques, même LR, habituellement proche des organisations professionnelles agricoles, dont un tiers des membres se sont prononcés contre ou se sont abstenus. "La droite évolue et nous serons exigeants" à l'égard de la filière, avertit leur patron Damien Abad, rappelant que LR ne veut pas d'une "écologie punitive".

Au sein de la majorité, les "frondeurs", de circonscriptions rurales comme urbaines, mettent en avant un "état de la biodiversité trop critique pour que l'on s'autorise de nouveaux écarts" (Emilie Chalas, LREM), ou l'idée qu'"un certain nombre de filières agricoles doivent changer de posture" (Isabelle Florennes, MoDem).

- "avertissement" -

Les néonicotinoïdes sont "des perturbateurs endocriniens", nocifs pour "la santé humaine", souligne aussi à l'AFP le "marcheur" Jean-Louis Touraine, qui refuse tout retour en arrière par rapport à la loi de 2016 interdisant ces insecticides.

A la direction du groupe LREM, on relativise ces dissidences. Présidente déléguée, Aurore Bergé savait le sujet "difficile" et n'a "pas d'inquiétude" pour la majorité.

Pas de sanction en vue, ni de scission d'une branche écolo, dans un groupe touché par des départs en série depuis 2017 - dont le dernier, le député de Gironde Benoit Simian, mercredi.

Pour expliquer ces résistances au retour des néonicotinoïdes, la vice-présidente Sophie Beaudouin-Hubière évoque des élus "peut-être effrayés": "nos boîtes mail ont été envahies" avant le vote, ce qui a pu rappeler "l'épisode glyphosate".

Il y a deux ans, la sortie de cet herbicide controversé n'avait pas été inscrite dans la loi et des députés avaient été attaqués de manière virulente sur les réseaux sociaux ou dans leurs permanences.

Mais une "marcheuse" qui a voté contre le projet de loi n'en démord pas: "C'est un avertissement au gouvernement pour ne pas sacrifier l'écologie sur l'autel du +pragmatisme+", cher à Emmanuel Macron. "La méthode est contre-productive et les Français ne sont pas dupes", assène-t-elle.

"Au sein du groupe LREM, on est tous écolos" mais à "une vitesse différente", assume le rapporteur du texte, Grégory Besson-Moreau. Selon lui, "c'est la différence entre une écologie du pragmatisme et une (écologie) jusque-boutiste".

Deux écologies irréconciliables? "Entre la conviction et la responsabilité, il faut trouver le chemin pour emporter les gens", plaide Erwan Balanant (MoDem), opposant au retour des néonicotinoïdes. "Qu'on soit dans la transition écologique avec une courbe la plus pentue possible".

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