Moteurs d'avion: la petite turbine qui gaze, du français Turbotech

Sur une étagère de l'atelier trône un étrange sphéroïde, traversé par des milliers de fins tubes métalliques: l'atout de la pépite française Turbotech pour proposer un moteur d'avion innovant face aux défis environnementaux, et déjà couronné d'un début de succès commercial.

Si son cofondateur et président, Damien Fauvet, est un transfuge de Safran, producteur de moteurs pour Airbus et Boeing, Turbotech vise d'abord l'aviation générale, soit les appareils de moins de 19 places ou 5,7 tonnes, utilisés dans les écoles de pilotage et les aéro-clubs.

Ces aéronefs sont encore équipés, pour entraîner leurs hélices, de moteurs à pistons, comparables à ceux qui équipent les voitures thermiques. Mais contrairement à elles, les petits avions fonctionnent toujours à l'essence plombée, vouée à disparaître.

"L'aviation générale n'a pas eu sa révolution de la turbine comme le monde de l'aviation de ligne dans les années 1950" avec l'arrivée des Boeing 707 ou De Havilland Comet, explique M. Fauvet, devant une rangée de moteurs sur des bancs d'essai, dans le hangar de son entreprise à l'aérodrome de Toussus-le-Noble (Yvelines).

Les ingénieurs se sont heurtés aux lois de la thermodynamique sur ce moteur, raconte-t-il: "dès qu'on essaie de le miniaturiser (...) il marche toujours, il est toujours très performant, sauf au niveau de la consommation" qui augmente fortement.

- Pièce d'orfèvrerie -

La solution de M. Fauvet, qui a suivi son intuition depuis 15 ans en travaillant d'abord sur son temps libre et ses deniers personnels: un échangeur thermique, une pièce de la taille d'une bouteille de gaz de camping, qui vient se greffer à l'arrière de la turbine, et capte la chaleur des gaz d'échappement pour la réutiliser dans le moteur.

Une véritable pièce d'orfèvrerie de 3.000 micro-tubes, réalisée par le sous-traitant quimpérois Le Guellec -- Turbotech s'appuie sur une soixantaine de fournisseurs-- et qui permet, selon M. Fauvet, de "réduire énormément la consommation".

Autres avantages des turbines par rapport aux moteurs à piston souvent en échappement libre, voués aux gémonies par les riverains: un bruit limité, des vibrations inexistantes, et la possibilité d'utiliser n'importe quel carburant, y compris d'origine non fossile.

L'atelier de Turbotech, contigu au coin des "geeks" entrant des lignes de code pour la gestion électronique des moteurs, est équipé d'une petite ligne de montage avec des engins à différentes étapes de leur finition, aux côtés de kits de pièces.

Certaines sont usinées "au micron près", et montées après avoir été dilatées à la chaleur d'un four, afin d'assurer un ajustage irréprochable, explique Camille Mansiaux, jeune ingénieure, "responsable méthodes et production".

A l'autre bout de la petite usine, des ingénieurs ont les yeux rivés sur leurs logiciels de conception, afin de préparer des gammes plus puissantes - la société propose déjà un moteur hybride et travaille sur l'hydrogène -, tandis qu'un autre employé s'entretient en visioconférence en anglais.

- Le Graal de la certification -

Les moteurs de Turbotech intéressent en effet au-delà de la France, où l'entreprise a reçu le soutien financier de la Direction générale de l'Aviation civile et de la région Ile-de-France, confortant un premier tour de table de Safran et Go Capital en 2018.

"Les Américains qui ont pu voler sur des aéronefs équipés de nos moteurs nous ont dit +vous les Frenchies, vous avez fait le moteur que tout le monde attend depuis 40 ans+", s'amuse M. Fauvet, dont la société a signé outre-Atlantique des contrats pour fournir des engins neufs à des constructeurs, mais aussi remplacer d'anciens groupes propulseurs sur des aéronefs usagés.

Ce marché potentiel de plusieurs dizaines de milliers d'unités - Turbotech produit actuellement 30 turbines en rythme annuel, autant que son carnet de commandes - conforte la société dans son ambition de faire certifier ses produits, étape cruciale pour pouvoir les commercialiser au-delà de l'aviation expérimentale.

Turbotech, qui a bâti son outil de production dans le but de parvenir à ce Graal, a entrepris des démarches auprès de l'Agence de l'Union européenne pour la sécurité aérienne (AESA).

"On se laisse deux ans et demi à trois ans pour avoir une turbine certifiée en Europe", espère M. Fauvet. En attendant, un avion équipé de l'un de ses moteurs effectuera un vol de démonstration la semaine prochaine au salon du Bourget.

tq/jum/vmt