Migrants: le centre humanitaire à Paris était "un pari un peu fou"

"Un pari un peu fou": avant la fermeture du "centre de premier accueil" qui a hébergé 25.000 migrants à Paris, Bruno Morel, directeur général d'Emmaüs Solidarité, tire "avec fierté" le bilan de ce dispositif que beaucoup voyaient voué à l'échec.

Question: quel bilan tirez-vous du centre humanitaire ?

Réponse: Depuis l'ouverture en novembre 2016, nous avons hébergé 25.300 personnes: 19.000 hommes directement dans le centre, et nous avons orienté vers des dispositifs adaptés 3.500 mineurs et 2.800 femmes ou familles. C'est un bilan positif, et pour nous un sentiment de fierté.

Le pari était un peu fou, car c'était la première fois qu'on créait une structure pareille, à taille humaine avec des petites chambres de quatre, en ville... Tout le monde nous disait que l'expérience était vouée à l'échec. On nous répétait: "le quartier n'acceptera jamais, vous aurez 2.000 personnes tous les matins devant le site..." Cela ne s'est pas produit.

Une innovation majeure a été d'installer un "pôle santé" au centre même. On a vu arriver des gens éprouvés par leur parcours, souffrant de pathologies ou de problèmes psy, et qui n'avaient pas vu de médecin depuis des mois. Le pôle a dispensé 8.000 bilans infirmiers, 6.000 consultations médicales et 1.000 consultations psy. C'était indispensable, et je me réjouis de voir que les CAES (centres d'accueil et d'évaluation des situations) intègrent des prestations de santé.

Par ailleurs nous avions 120 salariés sur le centre, mais aussi 500 bénévoles. Beaucoup étaient déjà présents sur les campements de rue, et ils sont arrivés avec une énergie formidable. Il me semble difficile de faire tourner un centre de ce type sans bénévoles, ne serait-ce que pour la traduction, l'animation, le vestiaire... Cela permet un meilleur accueil à l'intérieur, et un regard plus bienveillant de l'extérieur.

Q: Comment expliquer la résurgence de campements dans Paris ?

R: Quand je dis que nous avons hébergé 25.000 personnes, cela signifie que sans le centre de premier accueil, 25.000 personnes en plus auraient dormi dans les rues. Il faut se souvenir qu'avant l'ouverture, nous avions une évacuation toutes les trois semaines.

Bien sûr, le centre n'a pas tout réglé. Aujourd'hui 1.800 personnes campent sur les quais dans le nord-est de Paris, peut-être parce que nous avons commencé à réduire la voilure en vue de la fermeture. Il faut d'ailleurs que les CAES ouvrent vite pour que des campements ne se reconstituent pas.

Aurait-il fallu une plus grande capacité que nos 450 places? Peut-être, mais je crois surtout qu'il était nécessaire de dupliquer l'expérience. L'Etat va d'ailleurs ouvrir plusieurs centres, avec 750 places au total.

Mais il aurait aussi fallu être sur une fluidité maximale, de 300 à 350 sorties par semaine, que nous n'avons jamais atteinte. Même si je tiens à souligner que la durée d'hébergement est restée de 8,5 jours en moyenne, contre dix prévus. Là aussi, on est loin des Cassandre qui nous prédisaient que les gens resteraient des mois.

Q: On vous a parfois reproché de "trier" les migrants...

R: Le centre avait été conçu pour des "primo-arrivants" ayant vocation à demander immédiatement l'asile. Or aujourd'hui, le centre accueille 64% de "dublinés" (des migrants enregistrés dans un autre pays européen ou que l'Etat a droit de renvoyer, NDLR).

Cela a nécessité de s'adapter pour que, "dublinés" ou pas, tous aient une proposition d'hébergement. Et nous l'avons obtenue, conformément à la mission d'accueil du centre humanitaire.

De même il a fallu s'adapter face aux nationalités. On avait prévu de travailler en anglais ou en arabe, or il a fallu trouver des traducteurs en pachto, en farsi...

L'an dernier, nous avons accueilli 37% d'Afghans, 29% de Soudanais, 7% d'Ethiopiens et 6% de Somaliens. Au total, une vingtaine de nationalités.

L'une des craintes les plus récurrentes, avant l'ouverture, était que nous attirions les migrants. Mais il n'y a pas eu d'augmentation des arrivées, on est autour de 80 par jour. La crainte de l'appel d'air ne s'est pas vérifiée.

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