Action sur la restauration collective, le gaspillage... mais pas de "réduction" de consommation de viande ni de référence aux aliments ultratransformés: le gouvernement a présenté sa Stratégie nationale pour l'alimentation, la nutrition et le climat (Snanc), un document source de controverses attendu depuis plus de deux ans qu'il devait publier officiellement vendredi.
La publication officielle de ce document, qui a fait pendant des mois l'objet d'allers-retours ministériels et de critiques d'ONG, était attendue pour 14h. Mais il se faisait toujours attendre en fin d'après-midi, sans que l'on sache s'il serait publié ou non, alors que ses grandes lignes avaient été présentées à la presse en amont par les trois ministères concernés et que certains médias avaient reçu le texte.
Censée définir l'action du gouvernement d'ici 2030 pour une alimentation saine et moins émettrice de gaz à effet de serre, cette stratégie est issue de la Convention citoyenne sur le climat et de la loi Climat et résilience qui a suivi en 2021.
Elaborée par les ministères de l'Agriculture, de la Santé et de la Transition écologique, elle aurait dû être présentée avant juillet 2023.
Sollicités sur la non-publication du texte, les trois ministères ont renvoyé l'AFP vers Matignon, qui n'a pas répondu aux sollicitations dans l'immédiat.
Selon le document consulté par l'AFP, parmi les "actions phares" prévues, "mises en oeuvre dès" cette année, la Stratégie veut "encadrer réglementairement pour la première fois la qualité nutritionnelle des repas servis dans les établissements de la petite enfance, EHPAD, établissements pénitentiaires".
Contre le gaspillage alimentaire, le texte évoque "la mise en place de contrôles coordonnés chez les différents opérateurs concernés".
Mais les modalités de mise en action de ces mesures ne sont dans l'immédiat pas connues et il n'y a "pas de budget alloué à la Snanc". L'idée étant de "faire avec l'existant", a expliqué vendredi matin à l'AFP le ministère de la Transition écologique (MTE).
- Viande: limiter ou réduire ? -
Le système alimentaire représente près d'un quart de l'empreinte carbone des Français, dont 61% issus des "produits d'origine animale".
Or les négociations ont été particulièrement âpres sur la formulation concernant la consommation de viande.
Le texte consulté parle de "limitation", un terme souvent employé au ministère de l'Agriculture, et non plus de "réduction", terme qui figurait dans le projet inital et était défendu par le ministère de la Transition écologique.
Ce remplacement avait déjà entraîné un premier blocage en septembre de la publication de la stratégie par Matignon, qui souhaitait remplacer l'idée de réduction par "une consommation de viande équilibrée".
Selon le ministère de la Transition écologique, des objectifs chiffrés de réduction de consommation de viande, réclamés par les ONG mais absents du texte de la Snanc, sont prévus dans la future Stratégie nationale bas carbone (SNBC), en discussion.
- "Poids des lobbies" -
Deuxième point de crispation, le gouvernement veut "réduire efficacement l'exposition des enfants et des adolescents aux publicités et parrainages pour des produits trop gras, sucrés, salés", tout par incitation, quand les ONG demandaient l'interdiction de ces publicités.
"En cas d'insuffisance des dispositions volontaires, une mesure réglementaire d'encadrement du marketing alimentaire dans les médias sera envisagée", indique la Stratégie, quand précédemment aucune mesure contraignante n'était évoquée.
"Pourquoi attendre?", demande l'organisation Foodwatch, pour qui cette stratégie "manque de courage politique sur des dossiers clés de santé publique".
Alors que, dans l'après-midi, l'officialisation du texte se faisait attendre, l'ONG a déploré "le report de sa publication en toute dernière minute, dans la foulée des révélations de la cellule investigation de Radio France".
Selon un article de Radio France publié vendredi matin, une recommandation du Programme national nutrition santé (PNNS) encourageant "à limiter les produits ultratransformés" a disparu de la Snanc, au profit d'une recommandation pour "privilégier les produits peu ou pas transformés" selon le texte consulté par l'AFP, à la demande du ministère de l'Agriculture contre l'avis des deux autres ministères.
Le texte incite à "poursuivre les travaux pour arriver à une définition opérationnelle" des aliments ultratransformés, ce qui va dans le sens du lobby de l'agroalimentaire, opposé à certaines définitions utilisées dans des études scientifiques sur leur impact sur la santé des consommateurs.
"C'est une histoire rocambolesque cette Stratégie qui doit être publiée depuis deux ans. Elle doit paraître et ne paraît pas, c'est une vraie chimère", a réagi Serge Hercberg, professeur de nutrition et cocréateur du Nutri-Score, pour qui "ce que l'on pressent, c'est le poids des lobbies".
De leur côté, le Réseau Action Climat, le Secours Catholique, les associations Quatre pattes et France Assos Santé dénoncent un "blocage ministériel" aux "conséquences écologiques, sanitaires et sociales majeures" et appellent à "la publication immédiate de la SNANC".