Marie se souvient des regards désapprobateurs quand elle quittait le bureau à 18H00 pour aller chercher son bébé à la crèche, il y a 20 ans. Depuis, la parentalité est mieux prise en compte en entreprise, même si beaucoup reste à faire.
Aujourd'hui, "la blague dans l'open space vise plutôt ceux qui vont aller chercher leurs enfants au commissariat" parce qu'ils ont trop traîné au travail, a raconté Christine Albanel, en charge de la responsabilité sociale chez Orange, lors d'un colloque sur le sujet cette semaine.
Six cents employeurs représentant 5 millions de salariés ont signé la "charte de la parentalité en entreprise" lancée il y a 10 ans.
Parmi les mesures introduites dans la loi, la protection dont bénéficient les jeunes pères 10 semaines après une naissance, les trois autorisations d'absence rémunérées pour le conjoint afin d'assister aux examens de suivi de grossesse (Loi égalité femmes-hommes du 4 août 2014), le droit au télétravail (ordonnances Pénicaud), le droit à la déconnexion (Loi Travail entrée en vigueur le 1er janvier 2017).
"Les principaux obstacles rencontrés à l'époque étaient d'ordre culturel", rappelle Jérôme Ballarin, président de l'Observatoire de la parentalité en entreprise (OPE) à l'occasion du 10e anniversaire de l'association. "Il a fallu impliquer les hommes et leur montrer qu'au-delà du politiquement correct, c'étaient des sujets qui les concernaient, parce que cela leur permettait d'envisager une vie réussie globalement et pas uniquement sur le plan de la réussite sociale et professionnelle".
La culture du "présentéisme" régnait alors en maître. "Partir après 19H00 c'était un signe de motivation en France, alors que dans les pays anglo-saxons c'était un signe d'inefficacité", dit-il.
Les "guides de parentalité" des entreprises, outre le rappel des droits des salariés (congés de maternité et paternité, absences pour enfant malade...) et des aides existantes (modes de garde, aide aux devoirs, etc.), précisent généralement que les réunions ne doivent pas se tenir trop tôt ou tard le soir afin de ménager la vie familiale.
- Droit à la déconnexion -
Mais les progrès ne concernent pas tous les secteurs dans un monde du travail devenu plus précaire et marqué par l'essor des temps partiels non choisis. Jérôme Ballarin relève que 6 Français sur 10 restent insatisfaits de la politique de leur entreprise sur la parentalité.
Rebaptisé "Observatoire de la qualité de vie au travail", l'OPE, qui est parrainé par de grandes entreprises comme Orange, BNP Paribas ou Michelin, se défend d'être un "club de happy few".
"La moitié de notre réseau est constitué de petites et moyennes entreprises", souligne son président, évoquant le tour de France qui l'a mené en 2010 à Brest, Lyon, Le Puy-en-Velay, Thionville... "Les petites boîtes sont parfois plus engagées que les grandes groupes. Par exemple le télétravail s'est développé plus rapidement chez elles, le dialogue manager-collaborateur est plus facile avec des effectifs réduits".
Les enjeux ont changé. "Il y a vingt ans, on parlait surtout des risques matériels liés à la santé, à la pénibilité, désormais les risques sont dématérialisés, on parle davantage de stress au travail", témoigne Franca Salis-Madinier, secrétaire nationale de la CFDT-Cadres.
La transition numérique bouscule tous les métiers. Ainsi le télétravail, plébiscité par les salariés, peut "casser les équipes", voire "plonger le salarié dans la solitude", ont mis en garde plusieurs intervenants au colloque de l'OPE.
Le droit à la déconnexion devient un enjeu majeur. 57% des salariés et 83% des dirigeants d'entreprises (sondage auprès de 1.000 salariés en 2018) répondent aux mails et appels professionnels en dehors du temps de travail, a rapporté la société d'études Viavoice.
"Il y a un phénomène anglo-saxon qui se développe, appelé +blurring+. C'est-à-dire qu'on fait ses courses au bureau le matin et on écrit ses mails professionnels à 23H00 chez soi", relate Jérôme Ballarin. Attention aux frontières "trop poreuses", alerte-t-il: "L'individu doit rester maître de ses plages de repos, d'épanouissement et la vie professionnelle doit rester à sa juste place".