Metaleurop 20 ans après: une terre empoisonnée, des riverains inquiets

Du plomb partout: dans l'école, le stade, les légumes. Les cheveux des enfants. Deux décennies après la fermeture de la fonderie Metaleurop dans le Pas-de-Calais, les résultats "préoccupants" d'une enquête journalistique sur la pollution des terres ont été présentés vendredi aux habitants.

Pendant des dizaines d'années, l'usine a rejeté dans l'air des tonnes de métaux lourds, notamment plomb et cadmium. A sa fermeture en 2003, la zone, sur 700 hectares, était considérée comme la plus polluée de France.

Des familles habitent là, à Noyelles-Godault et Courcelles-lès-Lens, où se trouvait la fonderie, mais aussi à Evin-Malmaison, particulièrement polluée.

C'est dans cette cité minière, la plus pauvre des environs, qu'une équipe de l'émission d'investigation "Vert de rage", sur France 5, a effectué des prélèvements sur la présence de plomb, avec le laboratoire canadien TrichAnalytics et une équipe de l'hôpital Lariboisière.

La terre sous le toboggan de l'école est testée, comme celle du terrain de foot et de quelques jardins.

Les résultats révèlent une contamination au plomb qui serait 3 à 5 fois supérieure au seuil à partir duquel le sol contaminé doit normalement être remplacé.Et sur l'ancien site de l'usine, les taux seraient jusqu'à 774 fois plus importants que ce seuil.

- "En colère" -

L'analyse de feuilles de thym et de poireaux révèle des teneurs en plomb qui seraient jusqu'à 91 fois supérieurs aux seuils légaux.

Les cheveux de 29 enfants de l'école, également contrôlés, témoignent d'une exposition au plomb, même s'il est difficile d'en tirer des conclusions, faute de comparatif.

Ces résultats sont jugés "préoccupants, à minima", par Martin Boudot, le journaliste qui coordonne cette enquête, diffusée à l'automne prochain. "On a été très surpris des niveaux qu'on a trouvés."

Avec le toxicologue lillois Jean-Marie Haguenoer, son équipe a aussi tenté d'évaluer le nombre d'enfants de la zone atteints de saturnisme, la "maladie du plomb" qui affecte le système nerveux, la moelle osseuse et les reins.

En croisant diverses données, ils estiment que 5.815 enfants pourraient avoir été touchés entre 1962 et 2020. Dont une centaine depuis 20 ans.

"Je suis atterrée", s'est émue vendredi Awatif Roszak, 45 ans et habitante de Courcelles-lès-Lens depuis cinq ans, qui assistait, avec une centaine d'habitants, associatifs et élus, à la restitution de l'étude. "Que peut-on faire aujourd'hui, à part déménager ?", a-t-elle lancé.

"Quand j'ai fait construire ma maison il y a cinq ans, on n'a eu aucune info sur cette pollution persistante, (...) personne ne nous a dit à quel point c'était grave", témoigne auprès de l'AFP Alison Fynes, 33 ans.

Propriétaire à Evin-Malmaison depuis 2010, Clarisse Kaczmarek est elle "en colère". Elle dénonce une inaction des autorités publiques, et se demande si elle n'aurait pas "intérêt à partir".

"On ne s'attendait pas à une pollution encore aussi présente", témoigne cette cadre de la fonction publique, mère de deux jeunes enfants.

- "Injustice" -

Un collectif d'habitants tente de faire reconnaître devant la justice une carence de l'Etat dans le contrôle de la pollution. Sans succès pour l'instant.

La communauté d'agglomération d'Hénin-Carvin (CAHC, 14 communes) a elle déposé une plainte pour réclamer à l'Etat "la remise en état des terres polluées" ou, à défaut, 574 millions d'euros de dommages et intérêts.

"La réparation d'une injustice", explique son président, le socialiste Christophe Pilch, qui pointe "un préjudice sanitaire, patrimonial et économique".

La zone - cinq communes, 24.000 personnes - est encadrée depuis 1999 par un projet d'intérêt général (PIG) qui restreint l'usage des sols.

L'Etat prend en charge la dépollution sur 50 cm de profondeur, à condition d'avoir obtenu une autorisation de travaux. Car c'est le fait de remuer la terre, donc de libérer les poussières toxiques, qui présenterait un danger, avait expliqué le sous-préfet de Lens en 2018.

Contactée par l'AFP, la préfecture du Pas-de-Calais renvoie vers l'Agence régionale de santé.

Cette dernière souligne que "huit campagnes de dépistage" de saturnisme ont été menées entre 1999 et 2012 sur les enfants du secteur. Le taux de contamination, d'abord élevé (15% selon les normes de l'époque), est descendu à 2,5% en 2012, "supérieur à la moyenne régionale".

Elle met aussi en avant une étude selon laquelle la capacité des poussières de plomb à passer dans le sang diminue avec le temps. Et a demandé en 2020 une enquête à Santé Publique France pour un éventuel renforcement des mesures de précaution prescrites dans la zone. Ce travail doit débuter "en 2022-2023", selon SFP.

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