Même les stations de haute altitude misent sur la neige artificielle

Ils ont commencé à la fabriquer dès fin octobre: le manteau blanc sur lequel les premiers skieurs de la saison s'élanceront samedi à Tignes (Savoie) est produit massivement par les centaines de canons à neige de la station.

"Aujourd'hui, même à 2.000 m d'altitude, c'est quelque chose d'indispensable si on veut avoir une saison correcte du début à la fin", résume Brice Gaget, l'un des cinq nivoculteurs - technicien de la neige de culture - de ce domaine de Haute Tarentaise très prisé des jeunes fêtards britanniques et des Brésiliens.

"C'est ce qu'on appelle la garantie neige", note-t-il.

Tignes, de par son altitude élevée, lance traditionnellement le bal des ouvertures de stations avec Val Thorens, les autres s'échelonnant ensuite jusqu'à Noël. Mais les débuts de saison sont de plus en plus incertains, les Alpes ayant gagné 1,9°C au siècle dernier sous l'effet du réchauffement climatique.

"La pluie peut arriver jusqu'à 3.000 mètres d'altitude, c'est un peu les nouveaux hivers qu'on a aujourd'hui et on est obligé de s'adapter à ça", explique Brice Gaget, alors que de petits grains blancs tout juste crachés par un canon en bord de piste viennent se piquer dans sa barbe.

Alors ici, comme dans les quelque 200 stations françaises qui se sont équipées depuis l'arrivée des premiers canons dans les années 70, la production de neige de culture a démarré tôt.

Le panache blanc, jailli des quelque 430 canons à neige dont dispose Tignes, est disposé sur les pistes en une sous-couche d'au moins 40 cm d'épaisseur et fait office de "bande anti-crevaison pour pouvoir affronter les aléas climatiques", ainsi que les phénomènes d'érosion dus au passage des skieurs: au final, la neige de culture représente 10% du manteau présent sur les pistes, explique-t-il.

- "Moins jolis" -

Les canons, alimentés par un réseau de 25 km de conduites d'eau parcourant les pans de la montagne, sont pilotés depuis des salles des machines situées dans un bâtiment d'aspect neutre au pied des pistes, juste à côté d'un célèbre bar d'après-ski: ses puissantes pompes bleues puisent l'eau dans deux lacs et une galerie EDF à proximité et la propulsent, ainsi que de l'air sous pression, jusqu'en haut des pistes, à des centaines de mètres plus haut.

Mélangés "sans additifs" par l'enneigeur, ils se transforment en grains de neige très fins, "moins jolis que ce que fait la nature mais concrètement ça marche", souligne le nivoculteur.

Quant à l'eau utilisée dans les canons (359.000 m3 en 2023-2024), elle est largement "dans les clous" des autorisations de prélèvements.

Selon l'association France Nature Environnement (FNE), qui alerte sur les coûts écologiques de la neige artificielle, sa production dans les Alpes françaises consomme de 20 à 25 millions de m3 d'eau par an, l'équivalent de la consommation de la ville de Grenoble.

"Aujourd'hui, je pense qu'il faut être honnête avec ça", souligne Brice Gaget, évoquant les questions "prégnantes" autour de la ressource en eau et de la fonte des glaciers: "Il faut être sérieux. Plus on sera sérieux, plus on sera crédible. Je pense que c'est le nerf de la guerre pour nous", résume-t-il.

- "De plus en plus de monde" -

Pour les acteurs économiques des stations, l'enjeu est de maintenir leur activité.

A Tignes, malgré l'arrivée tardive du froid, Nathan Touhardji, "skiman", c'est-à-dire loueur et réparateur de skis, ne semble de fait nullement inquiet pour sa saison. "On voit qu'il y a de plus en plus de monde. On le ressent même quand ce n'est pas des gros week-ends de rush", souligne le jeune homme à fine moustache.

"En cette fin d'année, nous voyons que les Français (...) comptent répondre à l'appel de la montagne", a estimé vendredi le ministre du Tourisme Serge Papin, évoquant une saison d'hiver "prometteuse" dans les stations.

Selon lui, les premières tendances "montrent une dynamique solide", avec des locations saisonnières en progression de 13% en décembre, et de 20% pour les vacances de Noël.