Mécanisme carbone aux frontières: "l'enfer est pavé de bonnes intentions", avertit l'industriel Constellium

Le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF), censé éviter la concurrence déloyale d'entreprises soumises à des normes environnementales moins strictes que dans l'Union européenne, risque d'être contourné, a estimé vendredi le PDG de Constellium Jean-Marc Germain, considérant que "l'enfer est pavé de bonnes intentions".

Le patron du spécialiste de l'aluminium, qui a réalisé 7,3 milliards de dollars de chiffre d'affaires en 2024, appelle à ce que ce matériau soit exclu du dispositif devant entrer en vigueur en 2026 et qui concerne aussi l'acier, le ciment, l'hydrogène ou l'engrais.

A défaut, des "ajustements massifs sont nécessaires", dit-il dans un entretien à l'AFP vendredi, plaidant que "l'Europe ne produit pas assez d'aluminium, un matériau absolument critique pour la défense".

QUESTION: Quelles sont vos craintes sur le dispositif?

REPONSE: "Il est important de dire que tout ce qui peut être fait pour aider la décarbonation, c'est bien. Mais de notre point de vue le CBAM (MACF) fait exactement l'inverse dans le secteur de l'aluminium.

D'un côté, les quotas carbone baissent et donc le prix de l'énergie va un peu monter pour nous, et de l'autre côté, il y aura ce mécanisme d'ajustement aux frontières qui devrait renchérir le coût des importations des pays qui ont une empreinte carbone plus élevée. Le problème est qu'on va aboutir à exactement le contraire de l'objectif poursuivi. On est dans la catégorie où le chemin de l'enfer est pavé de bonnes intentions".

Q: Pourquoi?

R: "Cela augmente les coûts pour les producteurs européens. Même en admettant que la compensation sur les importations marche, ça veut dire que tout ce qu'on essaie d'exporter devient plus cher. Je fais des produits pour l'aéronautique, pour l'automobile, des produits d'emballage... Ils vont devenir plus chers, ça va être reflété dans mes prix à mes clients et quand mes clients exportent, ils vont être moins compétitifs qu'avant. Et on augmente nos coûts de l'électricité, déjà trois fois plus élevé en Europe que dans les pays où on se compare, Chine ou Etats-Unis.

Rendre l'électricité plus chère, ce n'est pas forcément une bonne idée si on veut décarboner puisque la décarbonation, c'est augmenter les usages de l'électricité.

A terme, on va se retrouver avec une industrie européenne moins compétitive qui va tout de suite moins exporter, qui petit à petit va avoir moins de clients, qui va se trouver à réduire la voilure et ces emplois seront remplacés par des emplois moins payés, moins protégés ailleurs dans le monde."

Q: Les mécanismes aux frontières peuvent aussi être contournés.

R: "Les risques de contournement sont vraiment importants. (...) Par exemple, la Chine pourrait dire qu'elle exporte vers l'Europe l'aluminium produit grâce à l'énergie hydroélectrique, et qu'elle garde pour elle celui qui est produit avec le charbon. On peut aussi faire passer par un pays tiers ou transformer un peu plus le produit.

"Et qu'est ce que ça fait pour les émissions? Rien du tout. Ça ne les réduit absolument pas."

Q: Est-ce susceptible de remettre en cause l'implantation européenne de Constellium?

R: "Nous +performons+ bien en Europe, avec des produits à forte valeur ajoutée, de bonnes équipes, et nous faisons encore de la R&D. Ca va bien, même si c'est difficile. Et là, on se retrouve avec encore un sac de cailloux sur le dos à transporter dans la concurrence mondiale, ce qui petit à petit nous affaiblit."

"Cela peut coûter quelques millions en 2026, un peu plus en 2027, jusqu'à ce que cela devienne insupportable. Et ce, dans un environnement où on ne sait même pas ce qui sera mis en oeuvre le 1er janvier 2026 alors que mes usines ont 50 ans et que je les maintiens dans la longue durée".

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