Dans sa cour délimitée par des morceaux de tôle dans un bidonville de Mayotte, Soifia* montre ses bassines et poubelles en plastique, pleines à craquer: "Avec ça on se lave, on prépare à manger, on fait la vaisselle... on fait tout".
Il n'y a aucun robinet, donc pas d'eau courante dans les deux pièces du "banga" (habitation informelle) de Vahibé, sur la commune de Mamoudzou, où cette femme de 40 ans vit aux côtés de ses cinq filles et de son frère.
La famille se fournit grâce à un système de tuyau permettant de pomper l'eau de la rivière, située à plusieurs centaines de mètres. "Elle est loin la rivière mais au moins, elle coule encore", se réjouit Soifia.
Car Mayotte connaît l'un des pires épisodes de sécheresse de son histoire. Sur les onze rivières qui permettent d'alimenter le réseau d'eau potable, seules trois à quatre sources sont encore exploitables, selon la direction de l'environnement.
Les deux retenues collinaires (ouvrages de stockage qui concentrent 80% de la ressource avec les rivières) sont à des niveaux historiquement bas. Elles sont remplies à environ 6%, contre 58% à la même période l'année dernière.
Dans ce contexte, les habitants du 101e département français sont privés d'eau deux jours sur trois. Et quand les deux réserves seront vides, les restrictions pourraient encore s'intensifier. Car ce territoire de l'océan Indien ne pourra produire que 20.000 mètres cubes par jour, alors que la consommation stagne autour de 26.000 m3.
Dans le bidonville de Kaweni, la fontaine qui alimente les habitants subit aussi des restrictions. Dans cette zone industrielle, les coupures interviennent de 16H00 à 8H00 du matin tous les jours. Une exception qui vise à préserver l'économie, quand le reste du territoire n'est alimenté que de 16H00 à 10H00 un jour sur trois.
Mais pour Mounira*, qui habite en haut du quartier construit sur la colline et souffre d'asthme, aller faire des réserves ressemble au parcours du combattant. "Il faut marcher 20 minutes pour descendre puis remonter avec les bidons. Souvent j'en laisse à mi-chemin puis je reviens les chercher", souligne cette mère de six enfants, originaire d'Anjouan aux Comores.
Dans ce quartier aussi, des tuyaux, installés dans la rivière la plus proche, permettent d'alimenter les bangas contre une petite somme d'argent. "S'il y a beaucoup de pluie, ça coule bien mais là c'est très sec", souffle Mounira qui, comme ses voisins, a fabriqué une gouttière, à partir de tuyaux de chantier, pour récupérer l'eau de pluie dans des seaux, posés au pied de l'installation.
- Pénurie "épuisante" -
Pour les habitants qui ont d'habitude l'eau courante à la maison, la pénurie d'eau devient également "épuisante". "Quand le robinet coule enfin, il faut s'empresser de faire des réserves, de lancer des machines. On a dû débourser 500 euros pour s'équiper de poubelles en plastique, de douches solaires et d'un filtre, installé sur le robinet", énumère Corine*, secrétaire médicale, arrivée en mars à Mamoudzou avec son mari. Une habitude qui impose aussi de ne pas s'absenter de son domicile quand l'eau revient.
Jonathan* et Maren*, enseignants à Tsingoni, dans l'ouest, ont déboursé 300 euros dans deux bidons de 120 litres en plastique et 25 mètres de tuyaux d'arrosage, installés sur le toit. "On les remplit depuis la salle de bain, puis on récupère l'eau grâce à des tuyaux pour se laver et faire la vaisselle", résume Jonathan.
Pour se débarrasser de cette charge mentale, certains n'hésitent pas à investir jusqu'à 2.000 euros dans des cuves de 1.000 litres avec sur-presseur, pour alimenter leur logement quasi-normalement.
A Mtsangamouji, François (le prénom a été changé), sa femme et les quatre enfants dont ils s'occupent ont installé des récupérateurs d'eau de pluie sur leur toit, qui permettent de collecter 1.700 litres. Pour boire, ils ont commandé cinq palettes d'eau en bouteille, pour 1.800 euros. "On nous a dit qu'on n'aurait plus d'eau au robinet pendant deux mois. On a calculé, à six, il nous faut environ 1.800 bouteilles", souligne le Grenoblois d'origine, arrivé à Mayotte en 2015.
Ceux qui suivent l'état de la ressource se veulent pourtant rassurants. "Les foyers ne seront jamais privés totalement d'eau", assure une source proche du dossier. Des rampes d'eau ont été installées et dans tous les villages des robinets publics permettent aux habitants de se fournir constamment.
(* personnes qui n'ont pas souhaité donner leur patronyme)