Mathématiciennes, sculptrices, écrivaines : connues de leur vivant et disparues de l'histoire ensuite, des femmes sortent de l'oubli par des initiatives qui essaiment partout en France.
Dans son appartement tout proche de la place Stanislas à Nancy, Pascale Fourtier-Debert est intarissable sur Emilie du Châtelet, à qui elle a consacré un livre en 2018.
Elle raconte s'être passionnée pour cette intellectuelle des Lumières, traductrice en français des "Principes mathématiques" de Newton. Elle l'a découverte lors de son enfance en Haute-Marne, quand elle allait se promener près du château où Emilie du Châtelet hébergea son ami et amant Voltaire.
"On m'avait toujours dit que c'était le château de Voltaire. Mais ce n'est pas du tout le château de Voltaire! C'est surtout le château d'Émilie du Châtelet, qui l'invite à venir chez elle", recadre-t-elle.
Depuis une dizaine d'années, cette ancienne graphiste a écrit plusieurs livres sur des femmes du XVIIIe siècle, connues de leur vivant mais qui ont ensuite disparu de l'histoire: la sculptrice Marie-Anne Collot (1748-1821), l'écrivaine Françoise de Graffigny (1695-1758)...
Elle a aussi fait éditer un "Dictionnaire des femmes artistes", qui répertorie 676 noms de personnalités nées entre les XIIe et XIXe siècles.
- "Comme si on n'existait pas" -
Pascale Fourtier-Debert raconte en avoir eu l'idée alors qu'elle était étudiante aux Beaux-Arts dans les années 90 et qu'elle a ouvert un dictionnaire des grands peintres. "Il n'y avait pas une seule femme. Ca m'a fait un choc, c'est comme si on n'existait pas en tant que femmes. Donc c'était un déni de ce que je projetais de faire aussi."
Elle se dit effarée de voir comment les femmes ont disparu des radars avec le temps. "Qu'elles soient scientifiques, compositrices de musique, ou douées pour tout, on va effacer systématiquement leur travail. Soit en le spoliant, soit en l'attribuant à des hommes, soit en le méprisant, soit en ne le montrant pas", détaille-t-elle.
Le XIXe siècle, à partir de l'arrivée au pouvoir de Napoléon, va être "terrible pour les femmes", dit-elle. "C'est une époque où on va vraiment enlever les signatures, mépriser le travail des femmes".
"Et, pas de chance", abonde la journaliste Titiou Lecoq, autrice du livre "Les grandes oubliées" (2021), "c'est là qu'on fait des manuels scolaires et des programmes scolaires".
"Celles qui restent, on va minimiser l'importance de ce qu'elles ont écrit, comme Germaine de Staël", et les rares qui vont être mises en avant, comme George Sand, vont permettre de prétendre que s'il n'y en a pas d'autres, c'est qu'elles n'ont pas de talent, ajoute-t-elle.
- "Vraiment fou" -
C'est à cela qu'entendent répondre les initiatives comme les "Journées du matrimoine", pendant féminin des Journées du patrimoine.
"Aujourd'hui, et c'est une bonne nouvelle, j'aurais du mal à compter" les initiatives dans ce cadre, se félicite Olivier Daronnat, trésorier de l'association HF Île-de-France, la première à s'être emparée du concept de "matrimoine".
"Si on ne fait rien, ce sont majoritairement des oeuvres masculines" qui perdurent, justifie-t-il.
Et depuis 2017 et la vague #MeToo, "cette idée de remettre au goût du jour des oeuvres de femmes a dépassé notre association", se félicite-t-il.
"C'est impressionnant. C'est vraiment fou, j'ai l'impression que dans toutes les villes où je me rends, il y a une association féministe qui a décidé de remettre en avant le matrimoine de la ville", témoigne aussi Titiou Lecoq.
"Mais ça repose beaucoup sur des initiatives individuelles", nuance-t-elle, jugeant que "les politiques sont à la traîne" pour, par exemple, inclure davantage de femmes dans les programmes scolaires. "A un moment, il faut que ce soit fait par le politique, parce que sinon, le jour où les gens seront fatigués de faire ça, ça disparaîtra aussi", prévient-elle.
Pascale Fourtier-Debert se désespère aussi de voir des artistes contemporaines "persuadées qu'il n'y a pas de problème".
"Mais non. Parce qu'on ne sait pas ce qui va se passer demain. L'histoire, c'est fait de recommencements. Donc moi, j'ai du mal à me dire que c'est acquis."