A Marseille, la mort dans "l'indifférence" d'un centre de formation historique de plongeurs

Situé à la Pointe Rouge, quartier de bord de mer du sud de Marseille, l'INPP, ex-Mecque de la plongée, est à l'abandon depuis l'annonce de sa liquidation judiciaire. La barge prend la rouille, le bateau gris et les quatre lettres bleu délavé s'effacent sur un mur craquelé.

"Cet endroit, c'était peut-être le bordel, mais c'était unique au monde", s'émeut Frédéric Ronal, dernier président de ce centre de formation d'excellence pour plongeurs et scaphandriers.

L'Institut national de plongée professionnelle (INPP), en cessation de paiement, a été contraint au dépôt de bilan le 18 juin dernier.

Une "mort dans une forme d'indifférence", dénonce Frédéric Ronal, même si "après il y a eu un grand vent de panique" dans le monde de l'hyperbarie - tout ce qui a trait à la plongée professionnelle. Durant ses 40 années d'existence, l'Institut a formé plusieurs milliers de plongeurs de plus d'une centaine de nationalités.

Fondé en 1982 sous la double-impulsion du gouvernement de l'époque et de la Comex, entreprise marseillaise spécialisée dans l'expertise sous-marine, l'INPP a pratiquement créé le métier de scaphandrier à une période où la demande explose, notamment avec le développement du pétrole offshore.

C'était alors un des rares centres au monde à former des plongeurs classe 3, qui peuvent travailler à plus de 50 m de profondeur. Mais aussi des archéologues, des plongeurs de combat, les marins-pompiers, des moniteurs de plongée loisir ou encore des techniciens vidéo, comme Frédéric Ronal.

- "Défaut de gouvernance" -

Au fil de son histoire, l'INPP prend un rôle d'archivage et de vigie professionnelle des scaphandriers, rassemblant notamment tous les documents relatifs à leur formation, nécessaires aux entreprises qui les embauchent.

Après sa liquidation judiciaire, aucune autre instance ne s'est vue confier cette mission et les données risquent de tomber dans le domaine public, ce qui fait craindre à certains de potentielles dérives.

"C'est un vrai risque pour les scaphandriers mais aussi pour les chefs d'entreprise, qui ont une responsabilité pénale vis-à-vis des gens qu'ils emploient", explique Pierre-Emmanuel Peyrou, ex-formateur à l'Institut, qui a lancé le "Groupement des acteurs économiques de l'hyperbarie" dans l'objectif de sécuriser ces données.

Théo Mavrostomos, recordman de la plongée la plus profonde, avec une descente à 701 mètres en 1992, formateur à l'INPP pendant 14 ans et légende du milieu, l'a rejoint dans ce combat.

Mais, en quatre mois, le dossier n'a pas avancé.

Dénonçant un certain amateurisme dans la gestion de l'Institut, Théo Mavrostomos est amer, "écoeuré et en colère contre la profession, qui n'a pas su se défendre".

Si un "défaut de gouvernance" structurel a entraîné l'INPP dans une situation financière délicate, avec un premier plan de sauvegarde en 2018, Frédéric Ronal assure que la situation était "compliquée, mais pas désespérée".

L'Institut s'en sortait grâce à la formation, avec un calendrier rempli sur un an et demi, soit 2,5 millions d'euros sur les 3,5 millions de chiffre d'affaire annuel.

Mais en novembre 2022, la société d'inspection BCS, mandatée par l'État pour l'attribution de l'agrément des formations de plongée, découvre des anomalies dans celles que dispensent l'INPP.

Malgré un plan de remédiation, BCS retire une première fois en novembre 2023 la possibilité pour l'INPP de former des scaphandriers de classe 2-A, qui peuvent travailler jusqu'à 50 m de profondeur, soit une perte de 25% du chiffre d'affaires.

Après négociation, la société d'inspection revient sur sa décision, mais "le mal est fait", regrette Frédéric Ronal.

- "Cruel" -

Le coup de grâce tombe le 22 avril, quand BCS exige de l'INPP le retrait des diplômes de tous les scaphandriers formés entre 2019 et 2022, puis lui retire pour la deuxième fois son agrément 48 heures plus tard.

Même si la décision est suspendue par le tribunal administratif de Marseille, en attendant d'être jugée sur le fond, c'est trop tard. Dix jours plus tard, "j'avais mon audience pour déposer le bilan", rappelle M. Ronal.

Dans le même temps, l'Institut est pris dans un conflit avec la Métropole Aix-Marseille-Provence, propriétaire des locaux qu'il occupe depuis sa création.

Début 2024, la collectivité multiplie par trois le loyer et exige que l'INPP régularise la situation des différentes structures - clubs de plongée amateurs et marins-pompiers notamment - qui sous-louent illégalement une partie du terrain.

Impossible pour l'Institut, au bord du gouffre financièrement, qui sera poursuivi par la Métropole dans le cadre d'une procédure d'expulsion.

A l'issue de la liquidation judiciaire, la métropole a indiqué à l'AFP vouloir désormais développer, en lieu et place de l'INPP, "un pôle consacré à la plongée de loisir et professionnelle".