MaPrimeRénov' suspendue: un frein à la décarbonation des bâtiments

La suspension estivale de MaPrimeRénov', principale aide publique, considérée comme "essentielle" à la rénovation énergétique des bâtiments, risque de briser l'élan d'un secteur stratégique pour le climat, alors même que la demande explose.

La décision du gouvernement, présentée comme un "ajustement temporaire" face à un "afflux de demandes" et à la fraude, s'appliquera de juillet à septembre, pour les aides individuelles uniquement.

"L'impact de la suspension est clairement négatif", estime Damien Demailly, directeur du programme transition écologique à l'institut I4CE, alors que l'usage du bâtiment reste le quatrième plus gros émetteur de gaz à effet de serre en France.

En 2024, logements et bureaux ont produit 58 millions de tonnes de CO? en France, soit 17% des émissions nationales. La baisse sur un an a été limitée à 1,1%, contre 11,6% pour le secteur de l'énergie.

"En 2030, l'été moyen sera l'été de 2003, qui a fait 1.000 morts à Paris. Ne pas rénover les logements, c'est catastrophique en termes de santé publique, c'est limite criminel", déplore Jacques Baudrier, adjoint PCF au logement à la mairie de Paris.

Et près de 4,2 millions de résidences principales sont encore classées passoires thermiques, F ou G au diagnostic de performance énergétique (DPE), selon l'observatoire national de la rénovation énergétique, soit 13,9% du parc immobilier principal.

"Afflux de dossiers"

Isolation, ventilation ou remplacement de chaudière: MaPrimeRénov' permet de financer ces travaux au sein des résidences principales, en fonction du gain énergétique obtenu.

"Au moment où la rénovation des logements décolle, l'État l'arrête", déplore Jacques Baudrier.

Depuis la fin de l'année 2024, le nombre de demandes explose et les rénovations globables ont triplé début 2025 par rapport à début 2024, selon l'agence nationale de l'habitat (Anah), chargée d'attribuer la prime.

"Ce qu'on a connu déjà en fin d'année dernière et encore plus en début d'année est un afflux du nombre de dossiers", une "bonne nouvelle", selon Damien Demailly.

Pourtant, en 2024, 340.800 logements ont été rénovés via MaPrimeRénov', dont 91.374 entièrement rénovés, loin de l'objectif de 700.000 rénovations complètes chaque année à partir de 2030.

L'obligation d'un accompagnateur agréé qui a permis de lutter contre les fraudes, a aussi ralenti les dépôts de dossiers, début 2024, mais certains accompagnateurs sont aujourd'hui pointés du doigt et suspectés de fraude.

Le budget 2025 du dispositif est aussi en baisse: 3,6 milliards d'euros, contre 5 milliards en 2024. L'État compte désormais sur les certificats d'économie d'énergie (CEE), financés par les entreprises, pour compenser, au risque de faire grimper les factures d'énergie.

"La décarbonation, ça coûte de l'argent", a reconnu le ministre de l'Industrie Marc Ferracci fin mai.

Des chiffres et une nouvelle suspension qui témoignent d'un retard de la France dans sa planification écologique", poursuit M. Demailly. Retard qui se justifie également par "les lourdeurs et la complexité administratives" des demandes d'aides MaPrimeRénov', rapportait à l'AFP Clarisse Berger, chargée d'études énergie et logement à l'UFC-Que Choisir.

"Stop and Go"

À Paris, la suspension ne concerne pas les copropriétés, mais les professionnels s'inquiètent des effets d'annonce, et des conséquences de cette instabilité.

"Environ 70% des immeubles ont besoin d'être rénovés" et ce dispositif combiné à d'autres comme "Éco-Rénovons Paris" sont "essentiels", selon l'Agence parisienne du climat (APC).

Dans la capitale, depuis deux ans, le nombre de diagnostics techniques globaux est passé de 200 à 1.200 par an, dynamique qui doit "continuer" même si seules quelques centaines d'immeubles ont finalisé leurs travaux.

Le gouvernement "pousse à la rénovation énergétique globale de l'immeuble", des travaux plus coûteux que ceux au cas par cas, précise encore l'APC, qui insiste donc sur l'importance de MaPrimeRénov'.

"On demande aux industriels de se projeter, mais il nous faut plus de stabilité pour cela, il faut arrêter le stop and go", alerte Rafael Rodriguez, président de Rockwool France, industriel produisant des isolants en laine minérale.

Selon lui, "la consommation d'isolants va doubler d'ici 2030" et le message envoyé par le Gouvernement "n'est pas le bon".

"Depuis le début, on change le dispositif, on change les conditions, et là, on le suspend. C'est très démotivant", confirme Karine Sebi, économiste à Grenoble École de Management, dans un contexte d'urgence climatique.

Alors que l'objectif national est de 700.000 rénovations complètes par an, "l'État n'est même pas capable d'en financer plus de 100.000" en 2024, dénonce enfin l'élu parisien.