Les futures "Maisons France services" annoncées vendredi seront-elles vraiment capables de secourir un citoyen noyé dans le millefeuille administratif ? Lors d'une discussion avec les fonctionnaires d'une préfecture de la Marne, Emmanuel Macron a confronté jeudi soir ses ambitions réformatrices aux réalités.
Les Maisons France Services doivent réunir dans un lieu unique plusieurs administrations (poste, assurance-vieillesse, pôle emploi, assurance maladie, allocations familiales...) dans des territoires délaissés, au coeur de la crise des "gilets jaunes". Elles compteront deux agents minimum.
Emmanuel Macron veut en créer environ 1.800 pendant le quinquennat. Depuis l'annonce de leur mise en place, le 25 avril dernier, elles sont une priorité de Jacqueline Gourault, ministre de la Cohésion des territoires. Vendredi, Edouard Philippe a annoncé que 460 ouvriront dès janvier 2020, frôlant l'objectif de 500 qu'il avait assigné en mai.
Ces maisons "sont un des éléments de réponse au besoin de proximité exprimé avec force par nos concitoyens", a estimé le Premier ministre.
Portées par les élus, l'Etat leur allouera pour chacune 30.000 euros par an.
Elle s'appuient souvent sur les maisons d'accueil des services publics créées sous François Hollande, parfois peu efficaces, pouvant se réduire à un employé qui redirigeait juste les visiteurs vers d'autres administrations.
Son successeur rêve d'un lieu où tous les problèmes administratifs seraient résolus.
- "Je suis le premier guichet" -
"Je veux que tous les services soient là. Je me suis inspiré de l'exemple canadien. Il y a un bureau, les gens y vont et présentent leur problème et on leur dit +apportez-moi votre dossier et je vais le régler+. Les gens se foutent de savoir si cela relève de la commune, du département ou de la région", a expliqué le chef de l'Etat lors d'une rencontre à la sous-préfecture d'Epernay jeudi soir.
Face à lui, le préfet de la Marne, Denis Conus et une douzaine de collaborateurs. Le président les interroge sur les réformes et leurs objectifs, baptisés "OVQ" (objets de la vie quotidienne). Pour la Marne, par exemple, 40 maisons sont prévues.
Le secrétaire général de la préfecture, Denis Gaudin, explique fièrement avoir proposé dix labellisations. Jeudi, l'Etat en a validé quatre. Mais le fonctionnaire souligne des obstacles.
"D'abord il ne faut pas que la création d'une maison soit prétexte à une fermeture de services publics existants. Les maires sont réticents, ils ont peur que des antennes disparaissent", avertit-il.
Le président se récrie. "On ne va pas se mentir. Les maisons d'accueil de services publics ont été utilisées pour fermer des services ou des Postes. Pour les maisons France services, je tiens beaucoup à ce que ne soit pas la même chose. Ce doit être l'Etat qui revient dans les zones désertées", affirme-t-il.
Deuxième obstacle, selon le préfet: le nombre d'agents. Des élus se demandent s'ils auront de quoi occuper un deuxième. "Les maires n'ont pas compris, répond M. Macron Si on n'a qu'un agent, quand est-ce que c'est ouvert ? Seuls les retraités pourront venir ! Il en faut 2 ou 3 ! Il faut des gens qui répondent, pas qu'on les renvoie vers des sites internet ! Et il faut des lieux de vie, pas des lieux uniquement administratifs, peut-être dans des bibliothèques..."
Troisième blocage, "les élus des quartiers prioritaires de la ville (QPV) disent qu'ils ont un réseau de tramway efficace et qu'ils préfèrent que la population sorte du quartier plutôt que de ne plus bouger", souligne Denis Gaudin.
"Je ne suis pas du tout d'accord pour la logique du tramway, réplique le chef de l'Etat. Si on dit aux habitants quartiers prioritaires de la ville, sortez-en, le plus vite possible, c'est affreux ! Ne soyons pas complices de cette stratégie."
"Je veillerai à ce qu'il y ait des maisons dans tous les quartiers. Il faut leur mettre un peu la pression", ajoute M. Macron avant de conclure: "Si ça part de travers, ça restera de travers. Si ce sont des guichets séparés, les gens ne viendront pas. Moi, vous savez, je suis le premier guichet de la République."