Dénouement d'une opération déminage: le Parlement doit voter définitivement jeudi des mesures de "souplesse" en faveur des élus locaux crispés par la lutte contre l'artificialisation des sols, avec notamment un droit minimal à construire pour les communes.
Les tractations ont été serrées entre députés et sénateurs, qui avaient adopté en première lecture des versions très différentes de la proposition de loi sénatoriale. Avec en toile de fond, le défi de répondre à la colère des maires sans infléchir le cap de la transition écologique.
L'Assemblée nationale avait largement remanié la copie du Sénat, dominé par la droite. Sous l'impulsion notamment du gouvernement, prêt à des gestes envers les élus locaux, mais qui trouvait que les sénateurs avaient ouvert "trop largement" la porte à l'étalement urbain.
Le compromis scellé la semaine dernière, après six heures de bras de fer, a été validé mercredi par l'Assemblée (169 voix contre 29) malgré le mécontentement d'une grande partie de la gauche. L'ultime feu vert que doit donner jeudi le Sénat vaudra ainsi adoption définitive.
"C'est un texte de compromis qui fait honneur à notre Parlement", s'est réjoui mercredi le ministre de la Transition écologique Christophe Béchu.
A l'origine du texte, une levée de boucliers face à la mise en oeuvre des objectifs de "zéro artificialisation nette" des sols (ZAN) de la loi Climat de 2021. Ils prévoient de réduire de moitié d'ici à 2031 la consommation d'espaces naturels et agricoles par rapport à la décennie précédente puis, à l'horizon 2050, de ne plus bétonner de sols à moins de "renaturer" des surfaces équivalentes.
- "Garantie rurale" -
Nul ne conteste la nécessité de freiner l'artificialisation, destructrice de biodiversité et facteur de réchauffement climatique. Mais les modalités du ZAN ont braqué les maires, inquiets d'être privés d'un levier déterminant pour le développement des communes.
Grâce aux nouvelles mesures, "nous redonnons de l'air aux élus locaux", se réjouit le sénateur Jean-Baptiste Blanc (LR), co-auteur du texte avec Valérie Létard (centriste).
L'une des dispositions phares est la création d'une "garantie rurale", un "droit à construire" d'au moins un hectare, attribué aux communes, et mutualisable avec d'autres. Les députés ont fini par accepter qu'elle ne soit pas réservée aux communes peu denses.
Les débats les plus vifs ont porté sur les "projets d'envergure nationale", comme les infrastructures de transport ou les grands projets industriels. Les élus locaux craignaient, quand ils en accueillent, que la surface utilisée ampute leurs enveloppes de terres artificialisables.
Le Sénat souhaitait donc les exclure du décompte des 125.000 hectares d'artificialisation autorisée jusqu'en 2031 pour le pays.
Mais "aucune dérogation n'aura été accordée", s'est félicité le rapporteur du texte à l'Assemblée, Bastien Marchive (Renaissance). Les hectares consommés par ces grands projets seront ainsi déduits de l'enveloppe globale autorisée par le ZAN. Et le solde sera réparti entre les différentes régions.
- "Avancées indéniables" -
Les députés ont tout de même fait des concessions. En acceptant de réduire le "forfait" qu'ils avaient prévu pour les projets nationaux, finalement fixé à 12.500 hectares artificialisables, dont 10.000 pour ceux installés dans les régions hors Paris, Corse et Outre-mer.
Surtout, si ce "forfait" était dépassé, les sénateurs ont obtenu que "le surcroît de consommation" ne serait pas imputé aux régions. Une "immense avancée" selon le Sénat, mais une "abdication" pour la députée écologiste Marie Pochon, jugeant le ZAN ébréché.
Le groupe écologiste a voté contre le texte mercredi, tout comme les Insoumis qui ont reproché aux députés de la majorité de "s'être couchés" devant les sénateurs.
La proposition de loi instaure par ailleurs une "commission de conciliation" où les régions pourront faire valoir leurs désaccords sur les projets qualifiés "d'ampleur nationale". Elle donne aussi aux maires de nouveaux outils comme "un droit de préemption urbain élargi", pour pouvoir par exemple "renaturer" des sols.
L'Association des maires de France (AMF) a salué le texte, même si "les problèmes demeurent très nombreux".
France Urbaine, qui représente les grandes villes, a aussi relevé des "avancées indéniables", mais en critiquant la garantie rurale. Elle sera "contreproductive" selon elle, si trop de communes l'utilisent sans priorité pour celles en tension.