L'intelligence artificielle française, douée mais isolée en son propre pays

La France est un incubateur prometteur pour l'intelligence artificielle, au point d'attirer Facebook et Google, mais elle est encore loin d'être dotée d'entreprises puissantes, capables de s'emparer des possibilités de cette technologie pour devenir des champions internationaux.

Facebook a annoncé cette semaine son intention de doubler le nombre de chercheurs de son centre sur l'intelligence artificielle créé en 2015 à Paris: ils passeront de 30 à 60.

Google de son côté a indiqué qu'il allait ouvrir en France un centre de recherche fondamentale dévolu à cette technologie, le troisième du groupe après Moutain View (Californie) et Zurich (Suisse).

Ces décisions des géants américains montrent qu'il "y a un écosystème français autour de la recherche fondamentale et des start-ups" en intelligence artificielle "qui est dynamique et de qualité", estime Antoine Imbert, spécialiste de l'intelligence artificielle chez Cap Gemini, l'un des grands de l'informatique française.

"Il y a des pépites" dans les nombreuses start-ups françaises de l'intelligence artificielle et de la "deep tech" (le développement de produits issus de la recherche scientifique et demandant une longue maturation), renchérit Ghislain de Pierrefeu, expert sur l'intelligence artificielle au sein du cabinet Wavestone. Google et Facebook cherchent à se rapprocher "pour les détecter et les racheter au bon moment"

Parmi ces start-ups prometteuses, les spécialistes citent notamment Saagie (traitement de données), Deepomatic (reconnaissance d'images), Snips (assistant vocal), ou encore Recast.AI (robots conversationnels) qui vient de tomber dans l'escarcelle du groupe allemand SAP.

Mais les ingénieurs brillants formés par le système français ont souvent tendance à finir dans les entreprises américaines, faute de l'apparition de grands champions français dans leur domaine.

"Nos ingénieurs, le monde entier se les arrache (...) Google et Facebook viennent taper directement dans notre capital humain", lâchait cette semaine, mi-fier mi-dépité, un spécialiste du financement des start-ups.

- Domination américaine et chinoise -

"Ce qui nous manque pour apparaître comme un pays en pointe, c'est que nous n'avons pas une entreprise dans l'intelligence artificielle qui soit vraiment le symbole qui fasse rayonner la France au delà de nos frontières", souligne Antoine Imbert de Cap Gemini.

La France, et l'Europe en général, font pâle figure par rapport aux Etats-Unis et à la Chine, où les géants américains du net (les GAFA: Google, Apple, Facebook et Amazon) et leurs homologues chinois (BATX: Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi) annoncent des investissements colossaux dans l'intelligence artificielle.

"Si on regarde aujourd'hui, en termes de nombres d'algorithmes réellement utiles à des entreprises qui sortent dans le monde, ça doit être les GAFA à 90% et les BATX à 10%, et les pays européens les plus avancés ce qui reste", ironise Ghislain de Pierrefeu.

"Nous manquons de finances et d'ambitions", admet Laure de la Raudière, députée LR et spécialiste du numérique. "Les jeux ne sont pas encore faits" pour ce qui est de la domination américaine et chinoise, mais "il faut des financements de l'Etat et de l'Europe", a-t-elle indiqué.

L'Etat et les entreprises françaises "n'ont pas assez le sentiment d'urgence", renchérit Julien Maldonato, spécialiste en innovation numérique chez Deloitte.

"On est dans une révolution probablement aussi importante que l'invention de l'électricité", et si l'on n'y prend pas garde "les centrales ne seront qu'à deux endroits du globe", les Etats-Unis et la Chine, souligne-t-il.

- Un tas d'or virtuel -

Les grandes entreprises françaises et européennes doivent aussi comprendre que les données qu'elles détiennent "sont un tas d'or virtuel, qu'elles doivent valoriser elles-même" avec de l'intelligence artificielle "sans passer par Google", estime Ghislain de Pierrefeu.

Le consultant se dit "très inquiet" par exemple que Total travaille avec le géant internet américain pour de nouvelles méthodes d'exploration pétrolière. "Les données de sous-sol, ça fait partie des rares données que Google n'avait pas encore", soupire-t-il. "Je pense que Total aurait les moyens de développer ces compétences en propre et de devenir un champion pétrolier et d'intelligence artificielle".

"On a des dizaines et des dizaines d'années devant nous de construction de grands systèmes plus intelligents" révolutionnant la manière dont les entreprises travaillent et proposent leurs biens et services, résume Julien Maldonato.

"Pour ces grands chantiers qui sont les nouveaux +new deal+, ces grandes infrastructures qu'il faut construire, qui peuvent nourrir un pays entier et mettre au travail des milliers d'employés, il faut accélérer", estime-t-il.

lby/soe/nas

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