Quels effets ont, au fil du temps, les canicules et les vagues de chaleur sur nos organismes ? Elles pourraient bien accélérer notre vieillissement, selon une étude publiée lundi, l'une des premières à évaluer les conséquences des fortes températures à très long terme.
"L'exposition cumulée aux vagues de chaleur a des effets constants et négatifs sur le vieillissement", résume cette étude, réalisée à Taïwan et parue dans la revue Nature Climate Change.
L'angle est original, alors même que les effets sur la santé des canicules sont de mieux en mieux connus dans un contexte où ces épisodes s'accélèrent sur fond de réchauffement climatique. Cet été encore, l'Europe a connu deux épisodes de chaleurs particulièrement fortes.
Mais la littérature médicale se concentre pour l'heure largement sur les effets de la chaleur dans l'immédiat, ou du moins à court terme: déshydratation, hyperthermie puis, plus largement, troubles cardiovasculaires et respiratoires, problème de santé mentale, sommeil perturbé...
L'étude taïwanaise, elle, prend un grand recul et s'interroge sur l'effet, au fil des années, de la chaleur sur nos organismes.
"C'est nouveau pour moi, je n'ai jamais vu un papier comparable", salue auprès de l'AFP le professeur français Yves Rolland, qui dirige à Toulouse un IHU spécialisé dans les recherches sur le vieillissement.
"Quel que soit l'âge, on voit qu'il y a une conséquence sur le vieillissement; je ne suis pas sûr que tout le monde ait conscience de ça", remarque-t-il.
Comment les chercheurs taïwanais sont-ils parvenus à cette conclusion ? Ils se sont basés sur les données de santé de plus de 20.000 personnes, suivies sur une quinzaine d'années.
Ces patients ont subi une dizaine de tests afin d'estimer leur niveau de vieillissement: taux d'albumine dans le foie, pression sanguine, capacité à expirer rapidement de l'air... Le but était d'évaluer l'écart entre leur âge réel et leur âge biologique.
Les chercheurs ont ensuite croisé ces données avec le lieu de résidence des patients, pour évaluer à quel point ces derniers ont été exposés à la chaleur au cours des années précédentes.
- Des résultats à confirmer -
Résultat: plus la personne a connu de fortes températures, plus son âge biologique dépasse son âge réel. Ainsi, pour le quart de personnes les plus exposées à la chaleur, la vitesse du vieillissement semble s'accroître d'environ 3% par an.
"C'est relativement faible mais c'est assez comparable à d'autres facteurs de risques comme le fait d'avoir une mauvaise alimentation ou faire peu d'exercice", commente M. Rolland. "Et ça touche tout le monde."
L'étude conclut toutefois à des effets plus ou moins marqués selon les personnes: les plus touchées seraient les travailleurs manuels, les habitants de zones où la climatisation est moins répandue, et les habitants des campagnes.
Mais, si ce travail donne des pistes importantes pour mieux étudier les effets durables de la chaleur, il faut pour l'heure prendre ses conclusions avec précaution.
D'abord, il n'y a pas de consensus sur un ensemble précis d'indicateurs qui déterminerait l'âge biologique d'une personne: il y a forcément une part d'arbitraire dans les critères retenus. Ensuite, la méthodologie ne permet qu'une estimation assez grossière du niveau auquel les patients ont subi de fortes chaleurs.
Surtout, les conclusions sont limitées par le fait que l'étude a été menée dans un seul pays, qui plus est à la superficie assez réduite.
"Comme l'étude est circonscrite aux habitants de Taïwan, ses résultats ne peuvent pas forcément être généralisés à d'autres régions et d'autres populations, en particulier sous des climats différents", prévient le professeur australien Paul Beggs, spécialiste en santé environnementale, dans un commentaire publié dans le même numéro de Nature Climate Change.
Reste que cette étude "améliore notre compréhension des effets sanitaires des vagues de chaleur", conclut-il, jugeant qu'elle "met en évidence une corrélation importante" entre vieillissement et températures élevées.
De plus, d'autres travaux pourraient aller dans le même sens. Publiée début 2025 dans la revue Science Advances, une étude conclut aussi à un effet de la chaleur sur le vieillissement de patients américains, à partir d'indicateurs différents. Elle est toutefois de moindre ampleur: les patients étudiés étaient déjà tous âgés et se trouvaient en moins grand nombre.