Les urbanistes et leur "ville du quart-d'heure", nouvelles cibles du complotisme post-Covid

La "Ville du quart-d'heure", ce concept en vogue qui promeut la rénovation de centres urbains où les déplacements essentiels ne dépasseraient plus la quinzaine de minutes, est entrée récemment dans le viseur des complotistes post-Covid, qui dénoncent sur les réseaux sociaux de prétendues expériences de "confinements climatiques".

Apparu en France en 2015, le principe de la "Ville du quart-d'heure" est simple: assurer la présence de tous les services essentiels, comme les magasins, les parcs ou les hôpitaux, à moins de 15 minutes de marche ou de vélo du domicile des citadins.

Depuis la pandémie de Covid, le concept, imaginé par l'universitaire franco-colombien Carlos Moreno, s'est exporté avec succès dans le monde entier.

Des villes comme Paris, Melbourne ou Copenhague s'en revendiquent pour justifier la réorganisation de certains quartiers, censés devenir plus agréables à vivre et moins dépendants de la voiture, afin aussi de limiter la pollution et le réchauffement climatique.

Mais, comme à l'époque des confinements sanitaires contre le Covid-19, le débat politique sur la pertinence de ces mesures s'est mué sur les réseaux sociaux en théories suspicieuses sur l'origine et les intentions réelles que cacheraient cette vision.

Sur TikTok, les premiers résultats de la recherche "Ville du quart-d'heure" présentent surtout des vidéos dénigrantes, affirmant notamment que les nouveaux plans de circulation visent à limiter la liberté de mouvement des habitants, à terme punis par des amendes s'ils sortent de leur quartier.

Sur Twitter, en anglais, le hashtag #15minuteprisons est apparu en troisième position derrière #15minutecities et #15minutecity.

Pour avoir imaginé le concept, Carlos Moreno, professeur à la Sorbonne, a lui-même été la cible de nombreuses insultes directes, a-t-il confié à l'AFP.

"Jamais il n'a été question de propositions restrictives, mais bien au contraire de développer des opportunités en plus: plus de choix, plus de services, plus d'envie d'évoluer dans son quartier, tout en ayant le choix d'aller où bon nous semble", se défend-il.

- Réorganisation des transports -

Des extrapolations sur des décisions prises à Oxford, en Angleterre, ou à Edmonton, dans l'Etat canadien de l'Alberta, ont été récemment démystifiées par l'AFP. Mais les assertions ont refait surface dans diverses langues, notamment en anglais, en français et en portugais.

"Vous ne pouvez pas quitter une +Ville du quart-d'heure quand bon vous semble", assure un homme dans une vidéo sur le nouveau plan de circulation d'Edmonton, visionnée plus de 59.000 fois sur Facebook.

"Les murs de la ville, les restrictions, les zones, ne seront pas utilisés pour empêcher les gens d'entrer, ils seront utilisés pour enfermer tout le monde", poursuit-il.

Une prophétie balayée par Sandeep Agrawal, urbaniste de l'Université de l'Alberta: "le dispositif vise à fournir de meilleures connexions avec le reste de la ville", par une amélioration des transports publics, a-t-il déclaré à l'AFP.

"Cette planification, c'est un processus continu, qui implique une consultation des citoyens aux différentes étapes de son élaboration", a-t-il ajouté.

- Déformations -

À Oxford, des conseillers municipaux ont rapporté avoir été la cible d'injures à cause d'un projet de limiter, aux heures de pointe, la circulation des voitures sur les trajets de bus.

Un article, qui affirmait à tort que les résidents seraient "confinés dans leur quartier et devraient demander la permission de le quitter, tout cela pour soit-disant +sauver la planète+", a été largement relayé.

Un porte-parole du conseil communal a démenti ces assertions auprès de l'AFP. Liam Walker, un élu conservateur de l'opposition, lui-même opposé à cette expérimentation, a lui aussi dénoncé sur Twitter des affirmations "totalement fausses".

"Dans le cas d'Edmonton, de Canterbury ou d'Oxford, chacune de ces critiques est une déformation du concept par le prisme d'une vision extrémiste avec comme seuls +arguments+ des mensonges, manipulations, insultes", regrette Carlos Moreno.

Son concept a séduit le groupe C40, qui rassemble des grandes villes luttant contre le réchauffement climatique, ainsi que les Nations unies ou encore le Forum économique mondial. Des cibles habituelles de nombreuses déformations virales, fréquemment vérifiées et corrigées par les médias.

Le concept reste par ailleurs très débattu. Parmi ses détracteurs modérés, Jay Pitter, professeur d'urbanisme basé à Toronto (Canada), fait valoir que ce modèle européen ne peut pas être transposé aux villes nord-américaines. Et qu'il pourrait même aggraver les inégalités en accentuant la gentrification des centre-villes.

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