A près de 300 mètres du tracé de l'A69, dans le Tarn, les pelleteuses quasi neuves de Joël Bardou sont à l'arrêt depuis plusieurs mois, plongeant cet entrepreneur qui a investi "plus d'un million d'euros" pour participer au chantier "dans une profonde inquiétude".
"Un enchaînement de coups durs" et "une perte d'environ 100.000 euros", résume Joël Bardou, gérant d'une entreprise de travaux publics, à Cambounet-sur-le-Sor (Tarn).
Pour cet entrepreneur qui fait partie des 67 sous-traitants assurant le chantier de l'A69, "ça a été la douche froide", lorsque la construction de l'axe Toulouse-Castres a été suspendue fin février.
Alors que les travaux doivent reprendre, l'entrepreneur, dont l'A69 représente 20% du chiffre d'affaires de 2024, doit retrouver rapidement du personnel tout en appréhendant "une montée de violence" des opposants au chantier et de possibles dégradations visant son matériel.
Quelque 350 machines étaient encore sur site avant la décision du tribunal administratif de Toulouse annulant l'autorisation environnementale de l'A69 et suspendant de fait les travaux.
En appel, la justice en a décidé autrement fin mai, autorisant la reprise du chantier, en attendant un jugement au fond envisagé fin 2025.
- "Repartir de zéro" -
Pour Romaric Maurel, également sous-traitant sur le chantier de l'autoroute, l'arrêt de quatre mois des travaux représente une perte d'environ 45%: "mon schéma business plan est en train de se casser la gueule", regrette le gérant d'une entreprise de transport à Montans (Tarn).
Chargé d'une partie du terrassement, ce dirigeant d'une centaine de salariés a dû trouver 30 intérimaires, qu'il a formés sur plusieurs jours, et a investi dans une trentaine de camions pour assurer les travaux.
De son côté, Joël Bardou avait investi plus d'un million d'euros en matériel et recruté, en plus des 35 collaborateurs de son entreprise, huit intérimaires, dont il a dû se séparer. "C'est tout un travail qu'on avait fait: trouver des gens formés ou à les former nous-mêmes", dit-il.
A présent, "on repart de zéro", souffle M. Bardou, "nous cherchons du personnel sérieux et qualifié qu'on n'est pas sûr de trouver", confie-t-il.
Et pour les mois à venir, "c'est l'incertitude, on n'a pas de visibilité. L'arrêt du chantier a redistribué toutes les cartes".
La remobilisation devrait prendre "au moins 3 à 4 mois pour qu'on soit à plein effectif et à pleine activité", a indiqué à l'AFP Martial Gerlinger, directeur général d'Atosca, maître d'oeuvre des travaux et futur concessionnaire.
Prévue initialement pour fin 2025, la mise en service de l'autoroute sera effective "plutôt au deuxième semestre 2026", a-t-il affirmé.
Aux difficultés économiques et salariales que rencontrent les sous-traitants s'ajoute la crainte que leur personnel et leurs engins soient la cible des opposants.
- Inquiétude grandissante -
"On est dans un climat de peur et d'incertitude", résume Romaric Maurel. Le gérant se dit "bien sûr inquiet de la situation, qu'on s'en prenne à [son] entreprise ou à [son] personnel".
En début de semaine, deux incendies volontaires ont détruit des coffrages de ponts sur le chantier de l'A69, a indiqué Atosca, tandis qu'une nouvelle mobilisation des opposants est programmé lors du premier week-end de juillet.
"Il y a fort à parier qu'on va de nouveau être engagés sur la protection de ce chantier et sur l'encadrement de toutes les manifestations qui vont intervenir rapidement", estime le général Arnaud Girault, numéro 2 de la gendarmerie en Occitanie.
"Je comprends l'inquiétude des sous-traitants parce que c'est leur outil de travail qui est en jeu", dit-il à l'AFP.
En octobre 2023, l'entrepôt de Joël Bardou avait subi de "lourdes dégradations" comprenant "des départs de feu, le saccage de la station de carburant et d'une partie du dépôt", relate l'entrepreneur.
"Cela avait été un choc et cela a engendré bien entendu des pertes économiques", se remémore le chef d'entreprise.
Pour les mois à venir, la tenue du chantier et les prochaines mobilisations d'opposants, Romaric Maurel considère être "de plus en plus dans l'inconnu".
"Diriger c'est prévoir et dans ce cas de figure, ce n'est pas possible", conclut le patron.