Les pétitions en ligne, une volonté d'agir "entre deux élections" (universitaire)

Des signatures par milliers pour le climat ou pour la baisse des prix du carburant... Le succès des pétitions en ligne témoigne d'une volonté de plus en forte des citoyens de se faire entendre "entre deux élections", estime Romain Slitine, spécialiste des innovations et des transitions économiques, sociales et politiques, maître de conférences à Sciences-Po Paris.

Q: La pétition contre l'inaction climatique de l'État revendique plus de 1,8 million de signataires. Est-ce le signe d'une nouvelle manière de s'engager ?

R: "L'heure est à l'expression massive des citoyens qui reprennent espoir dans leur capacité collective à se faire entendre. La pétition est un formidable levier de mobilisation. Il y a une volonté de pouvoir agir entre deux élections pour être entendus.

Quand on signe une pétition, on a lu son contenu, il y a un soutien pour la cause défendue. Cette démarche permet de ré-intéresser les gens à la politique à partir de cas concrets et personnels dont les impacts sont compréhensibles par tous.

Si les citoyens ont le sentiment qu'ils peuvent avoir une influence, ils se mobilisent. C'est ce que semblent penser les près de 2 millions de citoyens mobilisés contre l'inaction climatique. Ils n'ont peut-être pas tort car le gouvernement est affaibli (avec la crise des "gilets jaunes", ndlr) et beaucoup plus perméable qu'il y a quelques mois à ce type d'initiative."

Q: Ces pétitions ont-elles, selon vous, un impact?

R: "Parfois, les internautes parviennent en quelques semaines à des changements qui semblaient inatteignables par la politique traditionnelle depuis des années. En France, une pétition a abouti à une loi contre le gaspillage alimentaire, un sujet sur lequel les parlementaires avaient jusque-là échoué, sous l'influence des lobbies de l'agroalimentaire.

Gardons-nous cependant de penser que les pétitions seraient le remède miracle pour influencer les décisions publiques. Seules, elles ne font pas toujours le poids face aux mécanismes politiques classiques. C'est le cas de la pétition de la journaliste Élise Lucet contre le secret des affaires qui a réuni 600.000 signataires et n'a pas empêché le Parlement européen de voter pour.

Le succès de la pétition contre l'inaction climatique montre en tout cas que la légitimité démocratique ne peut plus se limiter aux élections. Quand vous réussissez à mobiliser 2 millions de personnes autour d'une cause, vous êtes largement aussi légitime qu'un député qui peut être élu avec moins de 12.000 voix. Cette démarche ne peut pas rester sans réponse de la classe politique".

Q: Peuvent-elles donner naissance à des mouvements citoyens ?

R: "Les pétitions en ligne complètent les méthodes classiques d'influence des gouvernements par les citoyens comme les grèves, les mouvements sociaux et les manifestations... Ce qui est clair, c'est que la mobilisation des signataires va au-delà du simple soutien à la cause. C'est parfois la première étape pour organiser d'autres formes de contestations. Il y a une grande porosité entre les différents modes d'actions.

Le référendum d'initiative citoyenne (RIC, une revendication entendue dans le mouvement des +gilets jaunes+) me semble par exemple intéressant. Si derrière les pétitions, il y a une possibilité de RIC, ça donne un nouveau débouché politique, ça donne encore plus d'ampleur."

(Propos recueillis par Aurélie MAYEMBO)