Sur la Côte basque, on l'appelle "liga". Plus connu sous le nom de "morve de mer", cet écosystème composé de micro-organismes colonise depuis 20 ans la surface de l'océan avant de tapisser et asphyxier les fonds marins.
Cette boue visqueuse et toxique qui s'amasse du printemps à l'automne menace les prises et même la santé des pêcheurs qui ont porté plainte contre X auprès du pôle régional environnemental du parquet de Bayonne. Celui-ci a ouvert une information judiciaire contre X pour déversement par personne morale et par personne physique de substances nuisibles dans la mer territoriale. Un juge d'instruction est désormais saisi.
Car pour les pêcheurs, premiers lanceurs d'alerte sur le sujet, ce "problème environnemental est en passe de devenir un problème de santé humaine", affirme Serge Larzabal, président du comité interdépartemental des pêches maritimes des Pyrénées-Atlantiques et des Landes.
Un principe, résume-t-il, explique tout le problème : "l'eutrophisation" des océans. Ce processus, accumulation de nutriments dans un milieu, fait office de nourriture parfaite pour le liga.
Si l'apport du fleuve Adour, à la limite entre Landes et Pays basque, a un impact non négligeable, pour les pêcheurs, il ne doit pas occulter la responsabilité des stations d'épuration. Le phosphate et l'azote retrouvés dans les eaux usées ou pluviales conduisent à un développement excessif d'algues et à un déséquilibre de l'écosystème. Trop vieilles, insuffisamment calibrées au regard de la fréquentation touristique de la Côte basque, les stations nécessitent "des investissements colossaux", à en croire les pêcheurs.
Au Pays basque, le liga est observé depuis vingt ans au large des côtes. "Il y a dix ou quinze ans, quand on commençait les études, on pouvait prévoir ce à quoi on allait arriver si rien n'était fait. On y est", assure Serge Larzabal. Il constate cependant une "accélération flagrante" du phénomène depuis 2018, avec un pic à l'été 2021 : "on l'observe maintenant dès les beaux jours jusqu'aux tempêtes de l'hiver".
Sylvie Peres, médecin dermatologue, est aussi membre d'une collectif de défense de l'environnement, le Cade, associé à la plainte en justice. Car chez les pêcheurs, les projections de liga au moment de remonter les filets causent des problèmes cutanés ou des conjonctivites. Sylvie Peres constate aussi des infections uro-génitales, ORL, ou gastro-entérites depuis plusieurs années chez les usagers de l'océan.
- "Un mouchoir sur les yeux" -
Cet été 2021, pour les associations comme pour les pêcheurs, aura été symptomatique "de ce qui peut se passer, si rien n'est fait", met-elle en garde.
Car l'eutrophisation des eaux ne favorise pas que le liga. En août, la prolifération subite d'une algue "ostreopsis" sur le littoral basque a contraint les collectivités à fermer les plages et à interdire la baignade. Les touristes, mais aussi les travailleurs de bord de mer, ont été nombreux à manifester des symptômes de type grippal. "On a bien vu cette année que le phénomène persiste et on ne pourra pas vivre en bonne santé sur un océan malade", insiste la médecin.
Pêcheurs et associations n'ont qu'une crainte, que le littoral basco-landais ne devienne comme la mer de Marmara. Apparue dans la botte de l'Adriatique dans les années 1990, la morve de mer est descendue en mer Egée puis en mer de Marmara. Avant l'été, dans la baie d'Istanbul, la morve de mer recouvre par nappes la surface de la mer comme un drap qui s'enfonce dans l'eau et recouvre l'écosystème marin.
"Si on ne fait rien pour réduire ces apports, ce sera de pire en pire", explique Serge Larzabal. Il milite pour l'inscription du Golfe de Gascogne, cette "grande lessiveuse", en "zone sensible eutrophisation", qui permettrait de mieux réguler les rejets des stations d'épuration, grâce à une réglementation plus stricte en matière de concentration d'azote et de phosphate.
"On s'est mis un mouchoir sur les yeux depuis 20 ans mais on ne peut plus attendre, le phénomène est connu, les causes aussi. Maintenant, stop", dit-il.
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