Les partis tout de verts vêtus, au risque de diluer l'écologie

L'ouverture de la liste LREM à des personnalités écologistes illustre le caractère désormais incontournable de l'environnement dans le discours des partis politiques, au risque toutefois de diluer cet enjeu.

Démission de Hulot, pétition "L'Affaire du siècle" recueillant plus de deux millions de signatures, grèves lycéennes, marches pour le climat: dans la société civile, "la question environnementale est posée plus nettement, ce qui engendre une transformation réelle du paysage politique français", constate Valérie Chansigaud, historienne des sciences et de l'environnement, associée au laboratoire Sphere du CNRS.

Les formations politiques ne peuvent plus faire l'impasse. Non seulement pour ne pas être disqualifiées d'emblée, mais aussi parce que l'électorat écologiste est plus enclin à se déplacer que les autres aux européennes, explique Bruno Cautrès, politologue au Cevipof.

Ainsi entre LREM et EELV, "il y a une bataille pour sortir l'écologie du clivage droite-gauche" et attirer "un électorat écologiste, urbain et pro-européen"; chez LFI, la volonté de renouer avec l'électorat de 2017 qui menace de déserter ces européennes; et pour Place publique et le PS, affirme sa tête de liste Raphaël Glucksmann, celle de "régénérer la social-démocratie dans l'écologie".

Tous se mettent au vert. Le président Emmanuel Macron déplore "l'insuffisance" de la discussion sur le climat après un sommet de l'UE. LREM intègre les anciens d'EELV Pascal Canfin, qui est convaincu que le chef de l'Etat "est en train de changer" sur les enjeux écologistes, et Pascal Durand à sa liste pour les européennes du 26 mai. Les partis de gauche brandissent leur conversion à l'écologie. Le RN réactive le courant de protection conservatrice de la nature existant à l'extrême droite...

Mais évoquer n'est pas agir, souligne Valérie Chansigaud: "L'environnement est une panoplie revêtue par n'importe qui, il ne veut rien dire" en lui-même.

C'est le paradoxe: "Quand un sujet est l'apanage de tout le monde, il n'est en fait l'apanage de personne", et actuellement l'environnement "n'est pas central dans la compétition politique", analyse Simon Persico, professeur de sciences politiques à l'IEP de Grenoble. Selon ce chercheur au CNRS, le stade de "la récupération symbolique n'est plus suffisant après le Grenelle de l'environnement et l'accord de Paris".

- " Etiquette" -

"Maintenant on ne peut plus faire comme si on ne savait pas. C'est une étape intéressante, mais qui ne change pas grand-chose" pour le moment, abonde Dominique Bourg, ex-président du conseil scientifique de la Fondation Nicolas Hulot, aujourd'hui tête de liste Génération écologie, le parti de Delphine Batho.

"Nous sommes au début de l'impasse, mais pas encore assez dans la catastrophe", pense-t-il. Pour l'instant, on continue à "mettre l'étiquette écologique et garder les faux semblants" entretenus selon lui depuis plusieurs décennies.

Soutien de LREM, Daniel Cohn-Bendit se réjouit pour sa part que "tout le monde relève le gant du défi de la transition écologique". "Ce n'est pas se repeindre en vert, c'est prendre les problèmes de la planète au sérieux", défend cet ancien d'EELV, qui s'exclame: "Vous croyez qu'on gagne des majorités sur la transition écologique si on a un parti écologiste à 10%?"

"Au-delà de l'incarnation par des personnalités reconnues et des mots, il faudra des programmes détaillés et crédibles", a cependant averti le député Matthieu Orphelin, qui a quitté LREM en février en déplorant que la majorité n'aille pas "au bon rythme" sur l'écologie.

Yannick Jadot, qui conduit la liste EELV, a d'ailleurs attaqué une liste LREM "patchwork, fourre-tout", faisant coexister "quelqu'un qui se bat contre le glyphosate", l'écologiste Pascal Canfin, et en n°4 "quelqu'un qui se bat pour le glyphosate", le président des Jeunes Agriculteurs Jérémy Decerle.

Côté mesures, le gouvernement explore divers scénarios devant mener à l'objectif nouveau d'une neutralité carbone en 2050; EELV propose un plan européen de 100 milliards d'euros d'investissements pour la transition écologique; La France insoumise une planification écologique menée par l'Etat, etc.

Mais selon Valérie Chansigaud, la sincérité des démarches des partis politiques se mesurera à leur volonté de passer des compromis d'union: "L'essentiel n'est pas le triomphe d'un parti qui peut engranger quelques succès pour être défait dans deux ans".

"Si ceux qui pensent la radicalité de l'écologie ne sont pas capables de se mettre ensemble, comment voulez-vous qu'ils arrivent à convaincre la majorité de l'électorat en France?", s'exclame Daniel Cohn-Bendit.