Le flou autour de MaPrimeRénov' plonge les ménages à faibles revenus dans l'incertitude, voire risque de les maintenir en précarité énergétique, faute de leur assurer les dizaines de milliers d'euros de travaux nécessaire pour une rénovation.
Nathalie, une habitante du Calvados de 59 ans, vient d'acheter avec l'argent d'un héritage une maison "pas très chère, dans l'Eure, mais qui a besoin d'être rénovée, principalement pour l'isoler".
Le logement est classé F au diagnostic de performance énergétique (DPE), une des notes les plus basses, correspondant à la catégorie de passoire énergétique.
Nathalie avait donc entamé des démarches pour faire une rénovation d'ampleur avec isolation des murs et des combles, changement des fenêtres, installation d'une pompe à chaleur et d'un système de ventilation.
Budget estimé: 70.000 euros, dont une aide potentielle de MaPrimeRénov' de 70% du montant, et donc un reste à charge potentiel de 21.000 euros pour Nathalie et son mari.
Avec l'arrêt du dépôt de nouvelles demandes d'aides d'ici le 1er juillet et jusqu'à mi-septembre, Nathalie se retrouve "dans une situation un peu difficile", avec d'une part un emménagement retardé et des frais associés, et d'autre part, aucune certitude sur les aides qu'elle pourrait effectivement percevoir.
La ministre chargée du Logement Valérie Létard veut "changer les règles" de MaPrimeRénov' à l'issue de la suspension estivale avec pour objectif de mieux gérer l'enveloppe budgétaire de 3,6 milliards pour cette année.
Aucune précision n'a été donnée à ce stade, ce qui plonge tout le secteur dans une totale incertitude.
"C'est terrible, en termes de visibilité, de confiance pour les ménages" et en plus "pour nos salariés qui ne savent pas du tout comment ça va se passer" pour le reste de l'année, déplore Juliette Laganier, directrice générale de Soliha, une fédération d'associations d'aide au logement, qui assure notamment un rôle d'accompagnatrice des dossiers de rénovation globale.
- Reste à charge élevé -
"On ne peut pas accompagner les ménages sans connaître les conditions de l'aide", insiste Juliette Laganier.
Sa crainte est de devoir "revenir en arrière avec les ménages qui n'ont pas déposé leur dossier avant l'été et de revoir tout le projet avec le nouveau cadre" du dispositif MaPrimeRénov', qui bénéficie à 73% à des ménages modestes et très modestes.
Selon Manuel Domergue, directeur des études de la Fondation pour le logement des défavorisés, une réduction des aides en abaissant les plafonds de montant de travaux éligibles, actuellement de 70.000 euros pour les rénovations les plus efficaces, serait discutée au sein de l'Etat.
Cela signifierait "un reste à charge à payer par les ménages modestes" mais s'il est trop important, "ils ne feront pas de travaux et c'est la rénovation des logements des pauvres qui en pâtit", assure Manuel Domergue.
Sans aides, Nathalie va effectivement devoir rogner dans son projet et ne pas faire tous les travaux envisagés, alors que son ambition est de "vivre à peu près correctement une fois à la retraite" dans "une maison isolée", qui nécessite peu de dépenses d'énergie.
En 2024, un tiers des Français ont souffert du froid dans leur logement et 28% ont eu du mal à payer leurs factures d'énergie, selon le Médiateur de l'énergie.
Manuel Domergue constate seulement un "début d'amorçage de la dynamique de rénovation globale" des logements, avec 91.374 rénovations d'ampleur en 2024, selon l'Agence nationale de l'habitat. "C'est une goutte d'eau parmi les 5 millions de passoires énergétiques".
"L'objectif de l'Etat à terme, c'est 700.000 rénovations globales par an et là, dès la première côte, ils font une pause", dénonce-t-il, estimant que le gouvernement n'a "vraiment pas l'argent pour finir l'année".
Juliette Laganier avait d'ailleurs alerté l'Etat "en début d'année sur le fait qu'il n'y avait pas de ralentissement de la dynamique alors que les dossiers de fin 2024 n'étaient toujours pas traités".
Elle espère "un cadre qui bouge le moins possible et qui préserve le plus possible les ménages aux ressources les plus faibles". Elle souhaite aussi un recentrage des aides sur les rénovations globales, au détriment des rénovation de petits travaux individuels.