Les décideurs doivent "oser la confiance" envers les citoyens, plaide Chantal Jouanno

Gare au "citizen-washing"! : "d'une main, on écrit le mot +participation du public+ dans tous les discours, et de l'autre on détricote le droit", met en garde Chantal Jouanno, qui appelle les décideurs à "de la sincérité" dans les consultations citoyennes, au moment où elle quitte la présidence de la Commission nationale du débat public (CNDP).

Au terme de cinq ans de mandat, l'ancienne ministre, qui ne compte pas revenir en politique et va se consacrer au conseil en transition écologique, se veut pourtant optimiste: "la démocratie participative se porte bien".

La France a "une culture de la participation", qui s'exprime fortement à l'échelle locale, souligne-t-elle.

La CNDP, autorité indépendante installée en 1997 pour les sujets à impact environnemental, est de plus en plus sollicitée: organiser un débat est une obligation pour les porteurs de gros projets, et les consultations "facultatives" sont en recrudescence.

En cinq ans, la Commission en a géré environ 80 par an, six fois plus que la moyenne des 21 années précédentes. Elle a été chercher des populations moins habituelles, via des débats mobiles...

Les sujets sont aussi plus gros (éolien en mer, incinérateurs...) et dépassent l'environnement (5G, éducation, santé...), constate Mme Jouanno, qui suggère d'élargir les compétences de la CNDP.

Mais que deviennent ces avis?

La Charte de l'environnement, à valeur constitutionnelle, stipule que chacun "a le droit d'être informé et de participer à l'élaboration" des projets, répond-elle. "La CNDP est le garant que ce droit est respecté, que ce que vous dites ne va pas rester lettre morte".

Elle note des progrès: les réponses des maîtres d'ouvrage, poussés par l'avis attendu de la Commission, sont plus étoffées. "On revient de loin", quand en 2018 la réponse gouvernementale au débat sur l'énergie faisait une demi-page...

- "Fierté" -

Le débat a aussi fait bouger la localisation du futur parc éolien au large d'Oléron. Il a conduit à l'abandon du projet minier Montagne d'Or en Guyane, un moment marquant.

"L'équipe est allée dans les villages pour faire parler les populations autochtones, dont elle a porté la parole au même rang que celle des acteurs économiques. Et quand le président de la République a annoncé à l'ONU qu'il renonçait à ce projet car il était contraire aux droits des peuples autochtones, ça a été une grande fierté. C'est le même président qui, candidat, avait soutenu le projet".

Avec Emmanuel Macron, un autre épisode est resté: le refus de Chantal Jouanno de piloter le "grand débat" né après la crise des "gilets jaunes".

"Le gouvernement souhaitait pouvoir en recorriger le bilan, ce n'était pas possible," dit-elle. In fine "il n'y a pas eu de conclusions et cela a été une frustration pour la population qui s'est dit +il n'en est rien sorti+. Mais c'est une fierté que l'institution ait tenu bon".

Plus généralement, aujourd'hui, pour elle, "le vrai sujet c'est que l'on parle beaucoup de +participation+, tout en détricotant le droit. Le vrai sujet c'est de ne pas faire du citizen-washing, c'est être sincère dans les procédures et avec des règles claires".

Or "il y a eu beaucoup de régressions", depuis 2021 seuls les projets de plus de 300 millions d'euros sont soumis à débat obligatoire (contre 150 millions avant).

Les citoyens n'ont plus que deux mois pour réunir les signatures nécessaires à une demande de consultation, contre quatre.

Avant aussi, la "programmation pluriannuelle de l'énergie", sur les choix énergétiques du pays, était soumise à débat public. Une loi de 2019 l'a remplacée par une concertation aux modalités fixées par décret gouvernemental.

Certains sujets bien sûr sont épineux. En février, le débat sur le projet de réacteurs nucléaires d'EDF a tourné court.

"Mais ce n'est pas le débat qui le rend conflictuel: les débats deviennent violents quand le public a le sentiment que la décision est déjà prise. Nous avions pourtant prévenu!", dit Chantal Jouanno.

"Les décideurs doivent se rendre compte qu'ils peuvent faire confiance à la société", plaide-t-elle: "Qu'ils osent la confiance! Parce que le discours de défiance que la société leur renvoie, c'est le discours de défiance qu'eux-mêmes portent".

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