Les "amendements lobbies" à l'Assemblée: les assumer... ou pas

"Ca va prendre un peu de temps", convient le député MoDem Sylvain Waserman. Pour plus de "transparence", de nombreux élus de la majorité appellent à mentionner quand un amendement parlementaire est suggéré par un lobby, mais la pratique démarre timidement.

Sur le premier volet du budget, seule une vingtaine d'amendements sur les 3.000 déposés indiquent explicitement leurs sources, une bonne part provenant de socialistes ou de l'ex-LREM Matthieu Orphelin.

Près de 320 députés de la majorité ont pourtant signé une tribune le 9 octobre dans Le Monde pour généraliser le "sourcing" de leurs amendements, qu'ils déposent pour modifier les projets ou propositions de loi.

Car les lobbies n'ont pas bonne presse, entre polémiques sur le glyphosate et critiques récentes au Sénat sur l'influence des "industriels" lors de l'examen du projet de loi anti-gaspillage.

Avec le "sourcing", Sylvain Waserman, à l'origine de la tribune, propose donc "une bonne pratique", mais "non obligatoire afin de ne pas entraver la liberté des parlementaires ni être inconstitutionnelle".

Concrètement, cela consiste à écrire "cet amendement a été proposé", "suggéré" ou "retravaillé avec" tel ou tel représentant d'intérêts: entreprise, syndicat, association, ONG...

"C'est une question d'honnêteté intellectuelle", estime le député. "Travailler un amendement avec un lobby ne me choque pas puisqu'ils font partie intégrante de la vie publique. Ce qui est choquant, c'est de ne pas le dire".

Dans son viseur, les amendements "copiés-collés" repris en choeur par certains élus.

"Une entreprise m'a même envoyé un amendement avec la mise en page de l'Assemblée", dénonce Matthieu Orphelin. "La tribune de la majorité sur le sourcing, c'est très bien. Maintenant, il faut qu'ils le fassent".

- "Boîtes aux lettres" -

Selon Marie Lebec, porte-parole du groupe LREM, "tout le monde est assez motivé, c'est une habitude à prendre".

Sur le budget, plusieurs amendements LREM n'ont toutefois pas été sourcés, dont un voté en faveur du maraîchage dans les serres chauffées, inspiré par la filière fruits et légumes frais.

Et une députée, interrogée par l'AFP, "ne se souvient pas" de la tribune du Monde, dont elle est pourtant signataire.

Une autre marcheuse, Marie-Christine Verdier-Jouclas, reconnaît avoir oublié de sourcer certains amendements sur la viticulture. "Je le ferai à l'avenir, c'est utile".

Ere du soupçon permanent ? Dans la majorité, certains sont hostiles au "sourcing" comme Jean-Louis Bourlanges (MoDem), qui regrette "une période de délire puritain. Un amendement appartient à celui qui l'assume, pas à celui qui l'inspire".

"Voir des PME sur notre territoire, c'est notre rôle, ne mélangeons pas tout", demande Didier Le Gac (LREM).

Chez les lobbyistes, plutôt favorables au "sourcing" facultatif, on pointe le risque qu'un amendement soit d'abord jugé sur son inspirateur, plutôt que sur le fond.

"Ce n'est pas parce que vous vous appelez Total, et pas WWF, que votre parole n'a pas de valeur", invoque Fabrice Alexandre, de l'association française des conseils en lobbying.

"Ca peut faire passer les députés pour de simples boîtes aux lettres", redoute Agnès Dubois-Colineau. Cette lobbyiste préférerait que les élus rendent publics leurs agendas, comme le font les commissaires européens ou les eurodéputés rapporteurs.

C'est l'un des combats de l'ONG Transparency International. "Pour l'instant, il y a une réticence en France", selon son président Marc-André Feffer. Mais les agendas ouverts "incitent à être équitables en recevant toutes les parties".

En France, seule la mairie de Paris mentionne en ligne les rencontres de ses élus avec des représentants d'intérêts, mais c'est "inabouti", selon Transparency. Deux rendez-vous seulement sont recensés en octobre.

A l'Assemblée, Sylvain Waserman souhaite proposer que les députés rapporteurs d'une loi rendent publics leurs agendas, comme à Bruxelles et comme il le fait déjà.

Comme d'autres, il souligne que des progrès ont été faits, dont le répertoire de 1.900 représentants d'intérêts né de la loi Sapin II de 2016. Mais qui manque de détails, selon les ONG.

Les députés doivent aussi rendre publics les invitations et cadeaux supérieurs à 150 euros.

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