Charge de travail, pesticides, concurrence étrangère, inondations, retraites agricoles... Les pieds dans la paille dans une ferme du Pas-de-Calais, des candidats aux législatives, parmi lesquels un éleveur, tentent de répondre aux inquiétudes multiples d'agriculteurs en plein doute sur leur vote.
La FDSEA a convié cette semaine dans cet élevage de vaches laitières de Feuchy, près d'Arras, des candidats de tous bords politiques des circonscriptions voisines à un échange avec quelques agriculteurs.
La ministre déléguée à l'Agriculture Agnès Pannier-Runacher, candidate Renaissance dans la 2e circonscription du Pas-de-Calais, défend pied à pied la loi d'orientation agricole, réécrite pour répondre aux manifestations de l'hiver, mais dont l'examen parlementaire a été interrompu par la dissolution.
Un candidat Rassemblement national (RN) dénonce le "flicage" des agriculteurs par l'administration, une candidate Les Républicains (LR) assure que les perturbateurs endocriniens sont au moins aussi présents "dans les fast-foods, la pilule" que dans les pesticides.
Après deux heures de débat, les agriculteurs présents sont satisfaits d'avoir pu s'exprimer, mais pas plus certains de leur vote.
"On se sent un peu perdu", confie Brigitte Carré, qui a travaillé toute sa vie dans cette ferme, désormais gérée par son fils, qui a manifesté cet hiver. "Les extrêmes, ça fait toujours peur", souligne la sexagénaire.
Michel Puchois, cultivateur habitué au vote LR, estime, lui, qu'"il faut un petit peu de changement" et se dit prêt à opter au second tour pour le RN face au Nouveau Front populaire (NFP).
Une coalition de gauche représentée ce matin-là par un éleveur, le berger Alexandre Cousin. "Proche" de la Confédération paysanne, syndicat agricole classé à gauche, il reconnaît ne pas être "en terrain conquis".
Cet écologiste dit avoir été "sidéré par les résultats des européennes et par la dissolution". En cette saison où l'éco-pâturage bat son plein, "s'il n'y avait pas eu un risque que Bardella devienne Premier ministre, je ne me serais pas lancé dans cette aventure", explique-t-il.
Un discours qui résonne avec celui d'un autre agriculteur des Hauts-de-France, Jean Lefèvre, à la tête d'une exploitation de 350 hectares. Il fait ses premiers pas en politique dans la 4e circonscription de l'Oise, avec le soutien de LR, après avoir pris part à la contestation cet hiver.
"Je me suis dit qu'on ne pouvait pas laisser la France avec le choix de l'extrême gauche ou de l'extrême droite", indique ce membre de la FDSEA de l'Oise.
- "L'élite et la base" -
D'autres agriculteurs membres de FDSEA se sont portés candidats, comme Luc Mesbah, secrétaire général de ce syndicat agricole en Haute-Garonne, qui se présente comme suppléant d'un proche d'Eric Ciotti soutenu par le RN, ou Olivier Cleland, administrateur de la FDSEA de Seine-Maritime, candidat Reconquête.
Au niveau national, Aurélien Rousseau, président de la FNSEA, premier syndicat agricole en France, a pourtant souligné, sans donner de consigne de vote, que l'agriculture française avait "besoin de rester dans un monde ouvert", s'inquiétant notamment de la "renationalisation de la PAC" souhaitée par Jordan Bardella.
"Comme dans toutes les corporations, on a d'un côté ce que pensent les élites, et de l'autre ce que pense la base", sourit le sénateur Christophe Szczurek, qui, lors de la rencontre à Feuchy, représentait Marine Le Pen, candidate dans la 11e circonscription du Pas-de-Calais.
A la Coordination rurale (CR), selon un porte-parole, tous les membres médiatiques de cette organisation, deuxième syndicat agricole français, ont été sollicités pour être candidats - mais la CR juge incompatible un engagement en politique avec des responsabilités syndicales.
La viticultrice Salomé Fontaine-Garcia, candidate de la majorité dans l'Aube, indique ainsi avoir renoncé à ses fonctions syndicales.
Jérôme Bayle, un des leaders de la contestation agricole de cet hiver, non syndiqué, assure avoir décliné "quelques approches" et se contente d'appeler les agriculteurs à "se mobiliser pour voter", sans leur dire pour qui.
Un électorat agricole devenu "de plus en plus bigarré", selon une note du centre de recherches politiques Cevipof datée du 11 mai.
Alors que les agriculteurs "sont en moyenne plus à droite que le reste des Français, ils se déclarent moins tentés de voter pour la liste du RN que les Français en général et surtout que les ruraux", d'après cette étude.
Toutefois, relève l'un de ses auteurs, François Purseigle, les jeunes agriculteurs - et parmi eux les éleveurs, plus "déclassés" que les cultivateurs - sont davantage attirés par le vote RN que leurs aînés.