Après avoir longtemps traîné au Parlement, une proposition de loi pour freiner la "fast fashion" est examinée lundi au Sénat, qui entend légiférer contre cette mode "éphémère" ou "jetable" expédiée à prix cassés depuis la Chine, avec le géant Shein dans le viseur.
Peu coûteux, de piètre qualité, faciles à commander, souvent très polluants et constamment renouvelés, ces vêtements qui saturent le marché et concurrencent les acteurs historiques de l'industrie textile verront-ils leur afflux en France bientôt régulé ?
C'est tout l'objet du texte examiné dans la soirée à la chambre haute. Portée par la députée Horizons Anne-Cécile Violland, la proposition de loi pour "réduire l'impact environnemental de l'industrie textile" a pris la poussière pendant plus d'un an sur le bureau du Sénat, après son adoption en mars 2024 à l'Assemblée nationale. Elle sera soumise à un vote solennel des sénateurs le mardi 10 juin.
Le phénomène inquiète. Entre 2010 et 2023, les vêtements mis sur le marché en France sont passés de 2,3 milliards à 3,2 milliards; plus de 48 vêtements par habitant sont mis sur le marché chaque année en France et 35 sont jetés chaque seconde dans le pays, selon l'Ademe, l'agence de l'environnement.
"Ces géants de la mode ultra éphémère envahissent le marché sans aucun contrôle. Il faut établir des règles, les frapper le mieux possible et le plus fort possible", martèle pour l'AFP Sylvie Valente Le Hir, sénatrice Les Républicains chargée de rapporter le texte au Sénat.
Dénonçant elle aussi une "invasion", la ministre de la Transition écologique Agnès Pannier-Runacher a rappelé lors d'un déplacement lundi dans le Rhône que le secteur textile était "le plus polluant au monde", notamment en émission de carbone.
Face à cette "vague irrésistible" de produits "qui ne durent pas", la ministre a salué une "loi très courageuse", la "première en ce sens" en Europe mais qui ne pourra pas "tout résoudre".
- Viser "l'ultra" éphémère -
Parmi les mesures phares, l'établissement d'une définition de la "fast fashion", avec des critères basés sur les volumes fabriqués, la vitesse de renouvellement des collections ou encore la limitation de la "durée de vie" des produits et la "faible incitation" à les réparer.
Les entreprises visées auraient ensuite des obligations, comme celle de sensibiliser les consommateurs à "l'impact environnemental" de leurs vêtements.
La proposition de loi prévoit également des sanctions renforcées pour ces plateformes à travers un système revu de "bonus-malus" tenant compte des "coûts environnementaux" d'une production excessive.
Sur ce dispositif, une divergence semble apparaître entre l'Assemblée nationale et le Sénat. Les députés souhaitent lier ces pénalités à "l'affichage environnemental" des produits, une méthode récente de notation.
Mais le Sénat, en accord avec le gouvernement, a supprimé cette référence en commission, préférant des critères liés à la "durabilité" et aux "pratiques commerciales" des plateformes.
Cette nouvelle rédaction entend viser davantage la mode "ultra express" des géants asiatiques, en premier lieu Shein, tout en préservant des entreprises européennes ou françaises qui auraient pu être concernées par le texte de l'Assemblée, comme Kiabi, Zara ou H&M.
"Nous souhaitons vraiment préserver ces enseignes qui nous restent, qui sont des enseignes accessibles pour l'ensemble des Français, et qui sont surtout disponibles sur nos territoires", assume Mme Valente Le Hir.
- Publicité et lobbying -
Ce recentrage du texte inquiète la coalition Stop Fast Fashion, qui rassemble 14 associations environnementales et des droits humains dont Emmaüs ou France Nature Environnement. Pour elles, l'initiative pourrait "ne devenir qu'une coquille vide, sans portée dissuasive".
Les discussions dans l'hémicycle tourneront également autour de l'interdiction de la publicité pour les entreprises de la "fast fashion".
La majorité sénatoriale, une alliance droite-centristes, s'y est opposée au motif qu'elle briderait la "liberté d'entreprendre" et serait fragile constitutionnellement. Elle a donc opté pour limiter l'interdiction aux seuls influenceurs. Mais le gouvernement est favorable à l'interdiction totale et tentera de la réintroduire, soutenu par la gauche.
En toile de fond de ces débats sensibles, plusieurs parlementaires ont relevé le "lobbying" intense de certaines firmes et notamment de Shein, regrettant notamment le recrutement par cette entreprise de l'ancien ministre Christophe Castaner pour l'accompagner dans sa démarche de responsabilité sociétale (RSE) au sein d'un comité consultatif.
"Cela fausse la donne et accrédite la thèse selon laquelle il suffirait d'avoir un ancien ministre de l'Intérieur pour influencer les parlementaires. C'est mal connaître le Sénat", a balayé le sénateur LR Didier Mandelli lundi.