Le Haut-commissariat au Plan, dont François Bayrou a pris la tête jeudi, n'aura qu'un lointain rapport avec son prestigieux ancêtre, artisan de la modernisation de la France à une époque où c'était l'Etat qui commandait aux entreprises.
Mais si l'idée d'une planification économique fait sourire à l'heure de l'hypermondialisation, le Haut-commissariat peut au moins renouer avec la vocation ultérieure de l'ex-Commissariat général du Plan (CGP) : fixer un cap à l'action publique, encore trop prisonnière du court terme.
"Ré-éclairer l'action publique d'une vision de long terme" est d'ailleurs l'objectif que lui a fixé le Premier ministre Jean Castex, qui a nommé jeudi François Bayrou au poste de haut-commissaire au Plan, en même temps qu'il présentait un plan de relance de 100 milliards d'euros à l'horizon 2030.
Au risque que le plan éclipse le Plan ? Tout en saluant le retour du CGP, enterré en 2006, "car on a absolument besoin de sortir de cette idée que chaque année, on va réinventer le monde", l'économiste Daniel Cohen évoquait jeudi sur LCI le risque de cannibalisation du second par le premier.
Au contraire, "nos deux fonctions sont complémentaires", assurait mercredi le ministre de l'Economie Bruno Le Maire. De plus, "le Plan ne se contente pas de traiter de questions économiques : il peut y avoir des questions démographiques, des questions éducatives, des questions migratoires", ajoutait-il.
De fait, sans entrer dans le détail de sa mission, M. Bayrou a évoqué la démographie de la France "qui baisse beaucoup à certains égards", jeudi sur RMC. Un sujet qui préoccupait déjà fortement les concepteurs du CGP, créé en 1946.
Le gouvernement s'inscrit en tout cas dans la tradition gaulliste d'un Etat stratège, à côté de l'Etat régalien et de l'Etat-providence.
"C'est à l'État, aujourd'hui comme toujours, qu'il incombe de bâtir la puissance nationale, laquelle, maintenant, dépend de l'économie", déclarait le général de Gaulle en 1945. Il justifiait ainsi les nationalisations, comme la mise à l'écart du patronat, compromis dans la Collaboration.
- "Colbertisme high-tech" -
A l'origine, le Commissariat général du Plan a pour mission de concentrer les moyens de l'État sur les secteurs-clés. Les projets d'investissement des grandes entreprises publiques lui sont soumis, tout comme les demandes de subventions adressées à l'État, qui doivent être conformes aux objectifs du Plan.
Le principe de "ce colbertisme high-tech" : les laboratoires de recherche publics infusaient les entreprises publiques (Thomson, Alcatel), "qui se voyaient garantir la commande publique dans le cadre de grands plans d'équipement du territoire", explique l'économiste Elie Cohen.
Un système en circuit fermé, qui a donné Ariane, Airbus, le TGV, le Minitel, le Mirage ou le Rafale. Mais "tout ça, c'était avant le marché unique et l'OMC" (Organisation mondiale du Commerce), rappelle-t-il.
L'effacement du rôle du CGP "a accompagné la dérégulation et est allé de pair avec l'obsession de la compétitivité", confirme El Mouhoub Mouhoud, professeur d'économie à Paris Dauphine, et conseiller scientifique, de 1995 à 2007, au Plan puis au Conseil d'analyse stratégique (CAS) qui lui a succédé. "Il n'y avait plus de raison de faire obstacle au déploiement des initiatives privées" des entreprises.
Le choc du Covid-19, qui a révélé l'étendue des délocalisations, y compris de biens communs, va-t-il conduire à modifier le rapport de forces en faveur de l'Etat?
"Nous sortons d'une période où le marché devait être totalement libre, et l'Etat le plus discret possible. Cette période est finie", assurait mercredi M. Le Maire.
Encore faut-il que le Haut-commissariat au Plan soit capable de concevoir "une politique industrielle qui ne soit pas juste de la distribution d'argent au privé", relève M. Mouhoud.
Pour cela, la rue de Martignac, aujourd'hui une simple "cellule d'expertise" (sous le nom de France Stratégie), doit redevenir ce "creuset" où les "forces vives" de la nation se retrouvent pour élaborer une "vision d'ensemble et dans la durée", estime Henri Guaino, qui fut commissaire au Plan de 1995 à 1998.
Syndicaux, patrons, chercheurs, fonctionnaires, politiques : "tout le monde participait, sans jeu de rôles", se souvient l'ancien conseiller de Nicolas Sarkozy. Et pour lui, "à la fin, le critère c'est : est-ce que ça accroît la prospérité de ce machin qu'on appelle la France?".
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