Le secteur du tourisme jouit d'une grande "capacité d'adaptation" qui devrait l'aider à surmonter la crise du coronavirus, même si celle-ci connaît peu de précédents, estime l'historien spécialisé Johan Vincent.
Post-doctorant à l'ESTHUA (Etudes Supérieures de Tourisme et d'Hôtellerie de l'Université d'Angers), il a notamment co-dirigé la rédaction de l'ouvrage "Tourisme et Grande Guerre: Voyage(s) sur un front historique méconnu (1914-2019)", publié en 2019 aux éditions Codex.
QUESTION: dans l'Histoire, comment l'économie du tourisme réagit-elle aux crises?
REPONSE: "Jusqu'alors, même si tout est toujours relatif, le tourisme est toujours reparti, parce que les acteurs se sont adaptés aux crises, qu'elles soient économiques, diplomatiques, sociales, sanitaires. Cela dit, toutes les crises n'ont pas cet aspect de sidération envers les populations. Pour la plupart des précédentes crises sanitaires, la grippe aviaire, Ebola, la sidération a été plus locale. (...)
La crise actuelle renferme en réalité une multitude de crises. Les grands organismes internationaux ont l'habitude des crises, ils ont connu 4 ou 5 crises sanitaires depuis les années 2000, mais aussi des crises avec le terrorisme, des crises sociales... En revanche le petit professionnel qui a un hôtel à Angers n'a pas toujours été touché, et dans sa mémoire à lui, la crise actuelle apparaît comme dure. Il n'a jamais connu ça."
Q: Vos travaux montrent que les périodes de crise entraînent des mutations du secteur du tourisme?
R: "Lors de la Première guerre mondiale, les gens n'étaient pas empêchés de se déplacer. Les Français de région parisienne par exemple ont compris à cette occasion qu'ils pouvaient voyager jusqu'au littoral, et nous avons reçu la visite de soldats étrangers, américains, canadiens, australiens, qui ont découvert le pays. Cela a aussi donné du savoir-faire pour les futurs touristes.
La crise de 1929, qu'on a connue avec un petit décalage en France, a entraîné une chute du tourisme de luxe, tandis que la Seconde guerre mondiale, lors de laquelle le littoral devient zone interdite, a entraîné davantage de visite à l'intérieur du pays. C'était au moment de l'Etat français avec un discours sur le patrimoine, les racines à retrouver. On observe ce même état d'esprit à la sortie de la guerre, avec en plus la modernisation du secteur hôtelier dans les villes bombardées, notamment sur le littoral.
Plus récemment, les attentats du World Trade Center en 2001 n'ont entraîné une baisse du tourisme international que sur un très court laps de temps, tandis qu'une réponse à la crise économique de 2008 en Europe a été d'encourager le tourisme."
Q: quel impact de la crise actuelle pour le secteur du tourisme?
R: "Le secteur touristique international repartira, mais ces crises peuvent amener des mutations. Un exemple dans l'Histoire est celui des élites sud-américaines, notamment argentines, qui avaient l'habitude de passer une partie de l'année dans les stations balnéaires européennes, particulièrement à Deauville et Biarritz. Avec la guerre sous-marine lors de la Première guerre mondiale, ils ne peuvent plus faire la traversée en bateau et prennent l'habitude de se rendre à Mar Del Plata (sur la côte argentine NDLR), qui est devenu aujourd'hui une énorme station balnéaire.
La situation actuelle va montrer toute la capacité d'adaptation du secteur, même si on ne sait pas si tous les professionnels seront en capacité de répondre aux problématiques actuelles. Cela nécessitera des investissements, parfois de remettre en question un modèle, pour un secteur qui était déjà en phase de mutation avec AirBnb mais aussi l'économie participative et collaborative. La situation actuelle peut accélérer les mutations, en freiner aussi, mais celui qui prétend avoir la réponse à l'heure actuelle me semble être surtout un bonimenteur..."