Revivifier la démocratie est "utile" mais ne doit pas se faire "au prix de l'instabilité" estime le président du Conseil constitutionnel, Laurent Fabius, à propos notamment du référendum d'initiative citoyenne (RIC) revendiqué par les "gilets jaunes", dans un entretien avec l'AFP.
Q. Comment voyez-vous les revendications de modifier les règles démocratiques, avec en particulier l'instauration du RIC ?
R. S'agissant des sujets institutionnels, il se peut évidemment que le Conseil constitutionnel soit concerné d'une façon ou d'une autre : raison de plus pour que je m'exprime avec retenue. Ce qu'il y a de certain, c'est que cela fait déjà longtemps qu'on sent monter une insatisfaction par rapport à la sphère politique et aux modes de participation des citoyens. Elle prend des formes diverses, mais on retrouve à chaque fois le souhait, en quelque sorte, de +démocratiser la démocratie+. Si on peut, par diverses innovations et adaptations, revivifier notre démocratie, sans tomber pour autant dans l'instabilité, ce sera utile.
Parfois cela peut être réalisé sans modifier le droit existant. Parfois cela implique une modification des textes. Tout en gardant à l'esprit qu'il convient de tenir compte du rôle des élus et d'avoir toujours en perspective l'intérêt général, le vivre ensemble, et qu'il existe des principes fondamentaux dans notre République sur le respect desquels précisément le Conseil constitutionnel est chargé de veiller.
Q. Une adaptation des règles vous semble donc nécessaire ?
R. Un grand débat est souhaité par le président de la République. Il va être organisé. Nous en verrons les modalités et les conclusions. J'espère qu'elles seront positives.
Q. L'activité du Conseil constitutionnel a rarement été aussi intense qu'en 2018 ?
R. C'est tout à fait exact. 2018 a même été une année record en terme de décisions. En 60 ans d'existence, le Conseil a en effet rendu 5.765 décisions, tous types confondus, dont 519 pour la seule année 2018. Un grand nombre de ces décisions a porté sur le contentieux électoral, mais au total 2018 aura été avec 1993 l'une des deux années les plus chargées de notre histoire. En 2018, comme d'ailleurs en 2017, dans deux tiers des cas nous avons confirmé les dispositions qui étaient contestées devant nous et dans un tiers nous avons décidé une non-conformité partielle ou totale, annulant alors les dispositions contestées.
Q. Quelles ont été les décisions les plus marquantes ?
R. En ce qui concerne ce qu'on appelle le contrôle a priori des lois, nous avons pris 15 décisions, portant par exemple sur la protection des données personnelles, les ordonnances Travail, le régime d'asile européen, Parcoursup, ou encore la loi appelée souvent anti-fake news concernant la manipulation de l'information en période électorale : dans ce dernier cas, c'est, je crois, une première mondiale.
En ce qui concerne les QPC (Questions prioritaires de constitutionnalité) que nous transmettent la Cour de cassation et le Conseil d'Etat, nous avons pris 64 décisions, concernant notamment l'apologie des actes terroristes, la revente des billets pour des manifestations sportives, ou encore la décision qu'on appelle +fraternité+ concernant les migrants en situation irrégulière. Comme vous le voyez, les sujets de nos saisines et de nos décisions ont été extrêmement divers.
Q. Quelles nouveautés pour 2019 ?
R. Nous avons décidé de tenir pour la première fois certaines de nos audiences hors de Paris, en région, avec l'objectif de faire connaître davantage le Conseil constitutionnel et son action, et de nous rapprocher ainsi des citoyens. Nous siégerons donc collégialement et publiquement en province et je reviendrai la semaine suivante sur place pour lire la décision prise. Nous commencerons à Metz le 12 février prochain. Nous examinerons à cette occasion deux QPC. La QPC doit être perçue de plus en plus comme ce qu'elle est, c'est-à-dire une +question citoyenne+.
Pour le reste, nous aurons bien sûr à examiner les lois dont nous serons saisis et les QPC dont l'afflux est continu. Dans ce cadre, nous allons par exemple trancher prochainement une QPC sur la pénalisation des clients des personnes prostituées et, dans un tout autre domaine, une question sur le recours aux examens osseux pour déterminer l'âge des migrants mineurs.