L'accès au cash, un enjeu face au risque de panne généralisée

Faire ses courses lorsque nos cartes bancaires et applications de paiement mobile ne répondent plus: les autorités monétaires défendent les espèces, dernier maillon de la continuité des paiements en cas de panne, mais dont l'accès diminue avec la baisse du nombre de distributeurs.

Une problématique illustrée par la récente coupure d'électricité massive qui a paralysé pendant plusieurs heures fin avril les activités économiques de la péninsule ibérique.

"Dans les sociétés très +technos+ qui sont les nôtres, la probabilité de ce genre de scénario est élevée, et elle va peut-être augmenter", prévient Erick Lacourrège, directeur général des moyens de paiement de la Banque de France.

Parmi les menaces identifiées par l'institution figurent les sabotages, les cyberattaques et les catastrophes naturelles. "Il faut qu'on ait des plans de secours qui nous permettent d'offrir à la population la possibilité de faire les actes de la vie courante", estime M. Lacourrège.

Directeur général de Loomis France, une entreprise de transport de fonds, Pascal Brédif indique que "dans les 72 heures" de la crise récente en Espagne et au Portugal, la filiale espagnole du groupe "a distribué trois fois plus de cash que d'habitude". "Ça montre la confiance que peut avoir le citoyen dans le cash", souligne-t-il.

Pour autant, la part des transactions en argent comptant ne cesse de se réduire à l'échelle mondiale au profit des paiements numériques. Pour la zone euro seule, elle est passée de 79% à 52% dans les points de vente entre 2016 et 2024, selon la Banque centrale européenne (BCE).

"Ce n'est pas parce qu'on utilise moins les espèces qu'on est prêt à les voir disparaître", nuance Marc Schwartz, PDG de la Monnaie de Paris, l'institution qui frappe les pièces pour la France et pour plusieurs pays dans le monde.

Près de huit Français sur dix se déclarent attachés aux espèces, selon les enquêtes annuelles commandées par la Monnaie de Paris auprès de l'Ifop.

Un attachement plus symbolique que pratique, qui n'empêche pas les banques françaises de réduire leur offre de distributeurs automatiques de billets (DAB) pour faire des économies.

- "Risque d'exclusion" -

Leur nombre a baissé de plus de 16% entre fin 2018 et fin 2023, pour tomber à 44.123, selon la Banque de France.

"Les défenseurs du cash y voient un risque d'exclusion des populations déjà marginalisées, notamment les plus pauvres" et mettent en avant "la vulnérabilité des systèmes informatiques", souligne Aude Danieli, sociologue du numérique.

Ainsi, l'archipel de Mayotte dans l'océan Indien, département le plus pauvre de France, comptait seulement 76 DAB en 2023, soit un pour 4.063 habitants, selon un rapport de l'Institut d'émission des départements d'outre-mer (IEDOM). Or de nombreux habitants se sont retrouvés sans électricité et, pour certains, sans espèces, après le passage dévastateur du cyclone Chido en décembre 2024.

Toujours selon ce rapport, l'île voisine de La Réunion (un DAB pour 1.590 habitants en 2022), ainsi que la France métropolitaine (un pour 1.299 habitants en 2020), sont bien mieux dotées.

Outre-mer, la priorité d'Ivan Odonnat, président de l'IEDOM, est de "mettre en place des dispositifs de secours pour assurer la continuité des réseaux d'approvisionnement [en cash]", à commencer par "des groupes électrogènes et des réserves de fioul".

Car "on parle d'une intensification et d'une fréquence accrue des chocs géophysiques", souligne-t-il.

Marc Schwartz abonde dans le même sens: "Il faut qu'on ait une infrastructure qui marche en permanence (...) pour que le système fonctionne le jour où il y a des risques de cyberattaque ou une coupure d'électricité". "La première réponse à la résilience, c'est les stocks", ajoute-t-il.

Une formule que certains pays européens ont adoptée dans le sillage de la guerre en Ukraine, en appelant leurs citoyens à garder une enveloppe de cash à la maison. C'est le cas de la Suède, de la Finlande et de la Norvège, pourtant champions du paiement numérique, qui font l'objet de cybermenaces de la part du voisin russe.