Il a passé la nuit à bloquer l'autoroute de Strasbourg, avant de rentrer nourrir ses brebis: jeune agriculteur, Félix Meyer participe à sa première grosse mobilisation pour dénoncer la concurrence "déloyale" des produits importés, soumis à des normes "moins contraignantes".
A 35 ans, ce père de famille élève une centaine de brebis et exploite 70 hectares autour de Mittelschaeffolsheim, à une vingtaine de kilomètres au nord de Strasbourg.
Il cultive des céréales mais aussi du houblon sur une vingtaine d'hectares, héritage des choix de son père dont il a repris la ferme il y a cinq ans. Des choix payants: s'il parvient à dégager un revenu chaque mois, c'est grâce à cette plante, dont la demande, et donc le prix, ne faiblissent pas, portés par le dynamisme des brasseries industrielles ou artisanales.
"Le houblon, c'est 80% de mon chiffre d'affaires, c'est lui qui me permet de vivre de mon travail et de maintenir la tête hors de l'eau", explique Félix Meyer au milieu d'une de ses parcelles parsemée d'imposants poteaux, assurant la croissance de cette plante grimpante pouvant atteindre huit à dix mètres de haut.
"C'est une culture à plus forte valeur ajoutée que le blé ou le maïs. Si je ne faisais que des céréales, je devrais soit travailler à l'extérieur, soit arrêter la ferme", explique-t-il, les pieds dans la terre meuble, emmitouflé sous trois chandails et un bonnet.
Alors bien sûr, il a essayé d'optimiser sa production de houblon. Il a converti deux nouveaux hectares pour faire pousser ces lianes vivaces, mais il atteint les limites de sa croissance potentielle: le houblon impose nombre d'opérations de nuit, ce qui empêche de s'implanter trop près des habitations. Et puis avant même de planter, préparer la parcelle demande un investissement de 15.000 euros par hectare, ce qui freine les évolutions.
-"Perdant-perdant"-
Mais ce qui l'inquiète, ce sont les règlementations qui pèsent sur les producteurs comme lui: en 2023, par exemple, est entrée en vigueur l'interdiction du Steward, un insecticide efficace contre les charençons, des coléoptères qui rongent les racines de l'intérieur.
"La France juge que c'est un produit trop nocif pour les sols, pour l'environnement ou le consommateur. Nous agriculteurs, on s'adapte, il n'y a pas de problème, je ne dis pas que je veux utiliser tous les produits phytosanitaires qui existent", explique ce titulaire d'un master en agronomie. "Mais ce qui nous tend, c'est qu'à l'étranger, en Allemagne par exemple, ils peuvent continuer à utiliser ces produits pour produire du houblon importé en France".
A cela s'ajoutent d'autres contraintes: pour faire sécher la fleur de houblon, étape indispensable à sa commercialisation, ce producteur utilise en moyenne 15 tonnes de gaz par an.
Le nez sur ses factures, il fait ses comptes: "en 2019, on était à 670 euros la tonne de propane, et on est à 1.050 euros en 2023", soit 57% d'augmentation en quatre ans. "Pour lisser ça, on peut augmenter les rendements, mais pas jusqu'à l'infini. Ou alors il faut vendre plus cher, mais il faut que les acheteurs jouent le jeu".
Dans ce contexte, il s'agace du retrait progressif, décidé par le gouvernement, de la détaxe sur le gazole non routier (GNR), qui renchérit le coût d'usage de ses tracteurs. "On avait déjà le prix du GNR qui augmentait, on a en plus la détaxe qui baisse, c'est perdant-perdant", déplore-t-il.
Alors, pour avoir travaillé deux ans en Suisse dans une entreprise de conseil aux agriculteurs, il aimerait que la France s'inspire de certaines pratiques, parfois protectionnistes, de ses voisins.
"Les agriculteurs suisses sont rémunérés autant pour leur production que pour le service qu'il apportent à la nature: en semis direct (culture sans labour, ndlr), ils sont subventionnés parce que ça limite l'érosion et le ruissellement", expose-t-il. "Et ça, chez nous, ça n'existe pas du tout".