"La société peut faire davantage" pour lutter contre le suicide, estime la psychiatre française Emilie Olié, soulignant l'importance de limiter l'accès aux moyens létaux, de développer l'accès aux numéros nationaux de prévention (3114 en France) et de lutter contre les "idées reçues".
"Le lien social est aussi un élément essentiel", ajoute la professeure Olié, du Centre hospitalier universitaire de Montpellier (sud de la France), qui travaille sur la prévention et le traitement des patients en crise suicidaire.
Q: Comment expliquer le suicide ?
R: Le suicide n'est pas lié à un seul facteur et c'est là toute sa complexité. C'est un phénomène avec un modèle de compréhension dit de +stress-vulnérabilité+.
Il va y avoir un ou des facteurs de stress, comme le trouble mental, des stress psychosociaux, professionnels, conflits, stress financiers, qui vont interagir avec une vulnérabilité, c'est-à-dire une prédisposition qui va, elle, être plutôt sous-tendue par des facteurs biologiques allant de la génétique à des modifications de l'axe du stress, des traumatismes dans l'enfance, de traits de personnalité comme l'impulsivité, la propension au désespoir.
Associés, ils amènent à un moment donné de la vie d'une personne à un comportement suicidaire, tentative de suicide ou suicide abouti.
On retrouve dans 80% des cas, dans les trois mois qui précèdent un comportement suicidaire, un stress, une dispute, des difficultés financières ou professionnelles. Mais elles n'expliquent pas à elles seules la conduite suicidaire. Toutes les personnes déprimées, au chômage ou qui se disputent ne vont pas tenter de se suicider, donc c'est multifactoriel.
Q: Quels sont les signaux d'alerte ?
R: Les signes d'alerte peuvent être difficiles à repérer. Il s'agit généralement d'un changement de comportement brutal, un repli social, l'irritabilité, des signes de dépression, une majoration de la consommation d'alcool, de cannabis ou d'autres drogues.
Q: Peut-on faire davantage pour prévenir le suicide ?
R: On peut faire davantage parce que le suicide est un sujet tabou, à la fois pour la personne qui va mal, pour son entourage et pour la société.
Il faut lutter contre certaines idées reçues. Certaines personnes craignent que demander à quelqu'un s'il a des idées de suicide enclenche un processus suicidaire. C'est faux. Interroger une personne sur la présence d'idées suicidaires est au contraire un premier geste de prévention facilitant un accompagnement vers des soins.
Le suicide n'est pas un choix, c'est quand la personne n'a plus aucun choix pour faire face à une situation de souffrance extrême.
Il faut aussi lutter contre la stigmatisation et l'autostigmatisation. C'est extrêmement honteux, culpabilisant d'avoir des idées suicidaires. On sait que les personnes en crise suicidaire pensent ne pas pouvoir être aidées, pensent devoir s'en sortir seules ou pouvoir s'en sortir seules. Notre rôle est de prouver qu'on peut apporter une aide adaptée.
Q: Quelles stratégies de prévention sont efficaces ?
Le 3114 est une belle avancée en France. Un numéro national de prévention du suicide (gratuit qui propose une écoute professionnelle et confidentielle, 24h/24 et 7j/7) pour accompagner des personnes qui font face à des problématiques suicidaires ou des personnes au contact de gens en détresse, est une bonne porte d'entrée vers les soins.
Le suivi, prévoyant de recontacter, des personnes ayant fait une tentative de suicide via les dispositifs de veille type Vigilans permettent de réduire le risque de récidive.
Au niveau des écoles, on peut faire de la prévention par rapport au harcèlement.
Au niveau de la population générale, des formations qu'on appelle "sentinelles" existent pour repérer la détresse psychologique et pouvoir orienter.
Si on repère bien la dépression grâce aux médecins généralistes, on réduit aussi les comportements suicidaires.
Au niveau des pouvoirs publics, limiter l'accès aux moyens létaux est une stratégie de prévention efficace: le gaz qui devient odorant pour ne pas s'intoxiquer, limiter certains contenus de boîtes de médicaments, limiter l'accès aux armes à feu...