La "réut" de l'eau, une solution et quelques bémols

Traiter les eaux usées pour les réutiliser: cette solution, longtemps déconsidérée dans des pays comme la France, gagne du terrain avec le manque d'eau. Pour autant, loin de la solution miracle, la "réut" a elle aussi ses limites.

- Recyclage -

Le principe est d'ajouter en sortie de station d'épuration des traitements additionnels permettant d'éliminer les agents pathogènes.

Plutôt que de repartir dans la nature, l'eau est ainsi recyclée, pour irriguer des cultures, nettoyer les voiries, climatiser les villes, ou fournir de l'eau potable.

La "réut", comme disent les industriels du secteur, est assez courante dans l'irrigation agricole en Espagne, Italie, Israël, Texas, Mexique... Elle abreuve aussi en eau potable la capitale de la Namibie depuis les années 1960, et depuis quelques années Singapour ou des villes australiennes.

En revanche en France, moins de 1% des eaux usées sont réutilisées, selon le Cerema (centre d'études sur l'environnement). Le premier projet remonte aux années 1990, porté par des cultivateurs de maïs en Auvergne, puis des golfs s'y sont mis après la canicule de 2003. En ville, c'est une solution notamment pour l'arrosage des espaces verts, étudiée à Narbonne, Montpellier ou Strasbourg.

- Avantages collatéraux -

Pour l'ONU, cette technique fait partie des solutions face aux crises de l'eau. L'idée n'est pas forcément de viser la potabilité: un humain ne boit "que" 4 à 6 litres par jour (eau de cuisson incluse). Mais de recycler pour l'agriculture, l'industrie, le lavage des rues, le refroidissement des centrales électriques...

C'est aussi un levier pour qu'enfin des régions se dotent de systèmes d'assainissement, dont plus de 50% de la population reste privée.

Traiter cette eau pour la réutiliser c'est enfin récupérer les boues produites pour générer du biogaz et extraire les éléments fertilisants (azote, phosphore), ce qui contribuerait à rentabiliser les installations. Selon l'ONU, ce phosphore pourrait combler 20 à 30% de la demande en fertilisants.

- Intérêt croissant -

La France veut accroître le recours à cette option, a dit le gouvernement, sur fond de sécheresse hivernale.

Pour l'association des industriels de l'eau (FP2E), le pays pourrait passer à un taux de réutilisation de 10% (quand l'Italie est à 8%, l'Espagne à 14%), d'abord pour des usages urbains (nettoyage des égouts, voiries, usage interne aux stations d'épuration...).

En 2021 un projet a été lancé pour amener d'ici 2024 de l'eau potable à la Vendée, qui dépend aujourd'hui à 90% des eaux de surface, très sensibles au changement climatique: après des mois d'expérimentation de l'unité d'affinage, chargée de produire une eau "de très haute qualité", l'eau sera rejetée dans une retenue naturelle, puis retraitée et mise à disposition des Vendéens.

Ce ne sera donc pas un usage direct. Mais au moins, pour le climatologue Jean Jouzel, "Vendée Eau et Veolia ont brisé un tabou en lançant ce projet".

La "réut", pour ses promoteurs, est particulièrement utile en zone littorale, où très vite les eaux usées partent à la mer.

- ...et limites -

Mais cela reste cher, et cette option, très encadrée par la réglementation, ne peut se décider qu'au "cas par cas", notent les acteurs: contexte hydrique, proximité de la station d'épuration, et surtout absence d'incidence sur les nappes et cours d'eau environnants.

Car les eaux usées aujourd'hui viennent recharger les cours d'eau. Qu'en sera-t-il demain quand elles iront à d'autres usages?

"Le risque est une perte du débit aval de la rivière et des effets sur la biodiversité", met en garde Bernard Barraqué, directeur de recherches émérite au CNRS, qui note qu'en été la station de Toulouse maintient la Garonne et celle d'Achères la Seine.

La "réut" "est une solution supplémentaire, qui peut réduire le recours à de l'eau potable pour certains usages, mais ce n'est pas la panacée", dit Franco Novelli, expert cycle de l'eau à la FNCCR, qui fédère les collectivités sur les sujets eau et énergie. "Il y a aussi d'autres solutions: désimperméabiliser les sols, gérer les eaux pluviales..." et économiser l'eau.

"Certains acteurs qui détiennent ces technologies voudraient voir ce marché s'étendre. Mais nous voyons aussi qu'en France on consomme trop d'eau, alors qu'on a des leviers pour prélever moins".

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