La numérisation des armées, un "enjeu de souveraineté majeur" (rapport parlementaire)

La "révolution numérique" a des implications militaires "aussi importantes que l'arrivée de la poudre" et représente un "enjeu de souveraineté majeur" pour la France, selon le député Olivier Becht (UDI-Agir-Constructifs), co-auteur avec Thomas Gassilloud (LREM) d'un rapport parlementaire sur la numérisation des armées.

Q: Quelles sont les conséquences de l'avènement du numérique sur le champ de bataille?

R: Nous sommes en train de vivre avec la révolution numérique en matière militaire une révolution aussi importante que celle que fut l'arrivée de la poudre, ou plus récemment la bombe atomique.

Cela impose de nouveaux paramètres: le premier, récupérer la donnée. Les Rafale, les FREMM (frégates multimissions, ndr), c'est un ordinateur avec un avion ou un bateau autour. Les capteurs installés tout autour de ces armes vont permettre de récupérer des milliards d'informations. Pour faire le tri, nous avons besoin de l'intelligence artificielle. On ne peut pas faire sans. Et nous avons besoin de super-calculateurs pour trier ces informations en un temps record. Tout ceci est une course de vitesse.

Exemple: un avion qui vole sur un théâtre d'opérations est accroché par un missile. Aujourd'hui, de manière automatique, un leurre se déclenche grâce aux capteurs. Demain, non seulement le leurre sera activé, mais on va également regarder d'où le missile est parti, faire en sorte de neutraliser la cible avant qu'un deuxième missile soit tiré et communiquer avec le champ de bataille pour voir qui est le mieux placé pour riposter.

L'étape suivante sera de savoir si on laisse à l'homme la possibilité d'appuyer sur le bouton ou si on autorise la machine à déclencher le tir de neutralisation elle-même.

Q: Quelles questions éthiques pose l'autonomisation des armes?

R: Le numérique ne change pas seulement la manière de faire la guerre, mais qui fait la guerre. Jusqu'à présent l'homme faisait la guerre, aujourd'hui on introduit la machine en appui de l'homme, mais avec un degré d'autonomisation.

Aujourd'hui la machine est au service de l'homme. On a des robots pour aller déminer le terrain, ou des drones pour identifier l'ennemi, nous donner la situation sur le champ de bataille... Demain, on aura des robots de plus en plus perfectionnés qui combattront. La question est de savoir jusqu'où on laisse l'intelligence artificielle prendre elle-même des décisions sur le champ de bataille, et sur quel schéma de valeurs. Avec au final, la question de savoir si on risque de voir l'intelligence artificielle se retourner contre l'humanité. C'est un débat éminemment moral.

Q: En quoi la maîtrise de ces technologies est-elle cruciale en matière d'autonomie stratégique?

R: Ces défis appellent des investissements, sous peine de déclassement. À l'heure du numérique, il n'y a pas de souveraineté possible en état de dépendance technologique. Si on acquiert des micro-processeurs à l'étranger, ils peuvent potentiellement être vérolés.

Or en France, on a des atouts mais pas l'écosystème. Aux États-Unis, il existe un complexe militaro-numérique. La Défense dépense des sommes colossales pour faire de la recherche, qui donne des produits transférés au secteur industriel (internet, Siri, écran tactile d'Apple...), vendus sur toute la planète. Les bénéfices permettent de réinvestir dans la recherche et développement.

En France, non seulement on n'a pas ces industries du numérique, mais en plus on ne s'en donne pas les capacités. On ne consacre pas assez d'argent à la "deep tech", aux technologies profondes, à la recherche fondamentale. Ce n'est pas uniquement dû au volume de crédits mais aussi à une peur de l'échec.

Il faut aussi envisager de faire du favoritisme national pour des raisons de souveraineté, pour développer les technologies dont on a besoin.

Pour acheter un porte-avions, on peut dépenser 10 milliards d'euros sans marché public, en choisissant notre constructeur. En revanche, si on veut du logiciel, la plupart du temps on est obligés de procéder à des mises en concurrence. Et aucune PME ou start up française ne peut rivaliser avec les prix des géants américains.

Il sera très compliqué de relever ces défis seuls. Cela pose la question des efforts à faire en coopération européenne.

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