Ultra-coûteuse et complexe, mais stratégique, la filière des semi-conducteurs bénéficie depuis peu d'un fort soutien de l'Union européenne et de la France visant à réduire leur dépendance envers les fabricants asiatiques.
Président du CEA-Leti, un centre de recherche et technologie spécialisé dans les micro et nanotechnologies à Grenoble, Sébastien Dauvé assure que si la filière est en ébullition, elle ne fait pas l'impasse sur les sujets environnementaux.
"La pression [concernant ces sujets] a beaucoup augmenté depuis 3-4 ans", indique-t-il à l'AFP lors des Leti Innovation Days, important rendez-vous de la filière à Grenoble cette semaine.
QUESTION: Quel enjeu pour cette 25e édition?
REPONSE: "Elle est exceptionnelle, avec un nombre record de participants très orientés vers les semi-conducteurs, mais aussi vers leurs applications comme les télécoms, la santé, l'automobile, etc. Ils viennent surtout partager, voir quelles sont les avancées qu'on a pu réaliser depuis un an. La microélectronique avance très, très, très vite.
Pour nous au Leti, c'est surtout la concrétisation du programme NextGen qui consiste à préparer la future génération de puces FD-SOI, une technologie inventée ici au CEA de Grenoble, et qu'on va trouver dans l'automobile, les objets connectés ou industriels.
L'usine STMicroelectronics de Crolles (près de Grenoble, NDLR) va produire de plus en plus de ces puces, c'est le fameux projet (de près de 7,5 mds EUR, NDLR) annoncé par Emmanuel Macron l'an dernier.
De notre côté, nous allons préparer ici la future génération de puces de 10 nanomètres (un milliardième de mètre, NDLR) qui arrivera sur le marché à l'horizon 2030. Nous allons construire une nouvelle salle blanche, qui sera inaugurée début 2025. Le plan d'investissement gouvernemental France 2030 nous a permis d'aller très vite".
Q.: Le chancelier allemand Olaf Scholz a qualifié les puces de "pétrole du XXIe siècle": l'Europe peut-elle gagner son pari de souveraineté, via son vaste programme "Chips Act" ?
R.: "Je crois que les politiques volontaristes que l'on voit à la fois en France et dans le Chips Act maintenant vont permettre de gagner des pourcentages de part de production dans le monde. Par exemple, on estime que le projet de Crolles représente 6% de production mondiale en plus, donc ce n'est pas rien.
Bien sûr, les autres continents investissent aussi, donc l'idée c'est déjà de rester dans le jeu et, bien sûr, de gagner des parts de marché. Beaucoup d'investissements sont réalisés en Europe par Intel, Bosch, Infineon, STMicroelectronics...
Il s'agit d'une industrie qui coûte très cher et qui est factuellement aidée dans tous les autres pays, États-Unis, Corée, Chine ou Taïwan, où elle est une industrie d'État. Si on veut peser, on est obligé d'avoir une politique d'État d'envergure, et coordonnée.
Tout le monde a pris conscience pendant le Covid que finalement les microcomposants n'étaient plus une simple commodité: tous les acteurs l'ont réalisé, l'automobile notamment. De fait, il y a encore des problèmes d'approvisionnement aujourd'hui.
Et puis la tension Chine-États-Unis rebat les cartes complètement. L'Europe a donc engagé des moyens significatifs: il est compliqué de dire si c'est assez ou pas, en tous cas c'est un geste fort".
Q.: Que fait l'industrie face à ses difficultés de recrutement et aux critiques sur sa très forte consommation d'eau?
R. "Les problèmes d'emploi, c'est un vrai questionnement qu'on retrouve au niveau mondial: le métier est peut-être moins attractif que dans le passé. On doit mieux faire connaître ces métiers extrêmement variés.
Quant à l'environnement, des actions sont en cours depuis plusieurs années et nos partenaires locaux redoublent d'efforts. Effectivement, la microélectronique consomme de l'eau: beaucoup de travaux ont déjà été faits depuis plusieurs années sur le recyclage et simplement le fait d'utiliser beaucoup moins d'eau.
C'est un champ d'innovation qui est en train de s'ouvrir, passionnant, et pas simple. Il est en train de s'accélérer, on est sous pression bien sûr. La pression [concernant ces sujets] a beaucoup augmenté depuis 3-4 ans".