Des dizaines de milliers de personnes en plein bocage en guise "d'autodéfense" : dix ans après l'échec de l'opération "César" sur la ZAD de Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique), Julien Durand, opposant de la première heure au projet avorté d'aéroport, se réjouit de faire toujours référence.
"L'opération César, moi je ne dirais pas que c'est forcément une victoire, c'était de l'autodéfense", analyse cet éleveur de vaches à la retraite, expliquant avoir entamé la lutte sur place "en 1973, à partir du décret de la Zone d'Aménagement Différée" (ZAD).
Le 17 novembre 2012, une grande manifestation rassemble entre 13.500 et 40.000 personnes en soutien aux opposants au projet de nouvel aéroport près de Nantes, mettant en échec l'opération "César".
Celle-ci mobilisait depuis octobre 2012 plus d'un millier de policiers et gendarmes dans le but d'expulser des militants anti-aéroport installés dans des fermes squattées.
"Pour obtenir une mobilisation comme pour le +Mouvement de la réoccupation+, où il y avait plus de 40.000 personnes, ça ne se fait pas avec un claquement de doigt. C'est le fruit de plusieurs années de travail dans l'ombre, parfois au bord du découragement", se souvient Julien Durand, qui est né en 1946 à Notre-Dame-des-Landes, à une vingtaine de km au nord de Nantes.
Le projet d'aéroport sera finalement arrêté en janvier 2018 : "une grande victoire pour la défense de l'environnement" mais aussi "un déclic pour que les décideurs prennent conscience qu'on ne peut pas faire n'importe quoi, que les enquêtes publiques sont mal menées et qu'avec une résistance (...) on peut envisager maintenant des victoires", estime le septuagénaire, au moment où la ZAD fête ce week-end les 10 ans de cette opération "César".
L'acronyme ZAD a ensuite été détourné pour devenir "Zone à Défendre" et est repris aujourd'hui par des militants écologistes partout en France.
"Depuis que Notre-Dame-des-Landes a été arrêté, plusieurs projets (...) ont été arrêtés, soit pas des décisions de justice, soit par des luttes locales, ou alors les porteurs de ces projets-là ont jeté l'éponge avant d'avoir des résistances sur le terrain", constate Julien Durand, en référence par exemple au projet de port à Brétignolles-sur-Mer (Vendée) ou au projet d'installation d'un entrepôt Amazon à Montbert, près de Nantes.
- "Fuite en avant" -
"On ne peut pas faire du copier-coller d'une lutte", nuance celui qui garde dans son jardin un panneau rouge et jaune avec l'emblématique slogan "Non à l'aéroport".
A Notre-Dame-des-Landes, où les "années sans victoire" ont été nombreuses, "on a mis beaucoup d'énergie à faire de l'information et c'est surtout ça qui, pour moi, a payé", souligne-t-il, en évoquant "de multiples réunions d'informations à travers toute la France" et la création de "comités de soutien"
"Aujourd'hui, l'environnement est en première ligne", poursuit le retraité, qui suit de près la mobilisation dans les Deux-Sèvres contre le projet de "méga-bassines", ces réserves d'eau à usage agricole.
"L'histoire des bassines, c'est une fuite en avant d'un système productiviste agricole, qui est, pour moi, rendu au bout du rouleau."
Depuis 2018, la situation s'est progressivement apaisée à Notre-Dame-des-Landes.
"L'attitude anti-Etat pure et dure de l'esprit de la ZAD quand elle était en résistance, s'est transformée en attitude de négociation, et c'est un bien, ça apaise tout le monde", affirme M. Durand.
"Les relations sont pacifiées, tout le monde dialogue", abonde Michel Ménard, président du conseil départemental de Loire-Atlantique, précisant que 40 agriculteurs sont en activités sur le site.
Après l'abandon du projet, le département a souhaité "que les terres cédées à Vinci soient rétrocédées au département pour maîtriser l'avenir de cet espace, qui de fait, grâce à ce projet, est devenu un espace exceptionnel, puisqu'il n'y a pas eu de remembrement, le bocage a été préservé", poursuit l'élu socialiste.
"Le département a voulu apaiser les tensions et travailler à un avenir pour ce territoire, sans être dans la rancoeur, et ramener ce territoire sur le droit commun", résume-t-il.