Marchés, manifs, campements sauvages, accidents et même attentats: les agents de la "fonctionnelle", héros invisibles de la propreté, arpentent jour et nuit Paris pour la nettoyer et laver ses cicatrices les plus sombres.
Dans un documentaire intitulé "Des Ordures et des Hommes" diffusé sur France 2 le 11 février, et qui sera rediffusé sur la chaîne parlementaire LCP le 12 mars, suivi d'un débat, la réalisatrice Mireille Dumas leur rend hommage. Elle cosigne également un livre éponyme avec le journaliste Denis Demonpion, paru jeudi aux éditions Buchet Chastel.
La "fonctionnelle" comprend 500 des 6.000 agents de la propreté à la ville de Paris. Ils travaillent en équipes qui se relaient 24 heures sur 24, sept jours sur sept, mobilisables à chaque instant et par tous les temps.
"C'est notre brigade de secours sur tous les grands événements, joyeux ou dramatiques. Elle prend en charge tout ce qui ne peut l'être par les autres agents dans chaque quartier", résume à l'AFP Paul Simondon, adjoint à la mairie de Paris, chargé de la propreté et de la gestion des déchets.
Sans elle, pas de Ville Lumière mais "une marée de verre et de déchets sur les quais de Seine en été", dit à l'AFP Didier Q., 56 ans, 20 ans de fonctionnelle à son actif, en service de "4H00 à 13H52" au "4/4" (4jours de travail, 4 jours de repos).
Gilets jaunes sur leurs combinaisons vertes ou blanches, casques et lunettes de protection, ces professionnels sillonnent la capitale, gantés, parfois masqués, pour des missions "indispensables" et "difficiles", auxquelles ils sont "habitués", dit Didier, qui gagne 2.100 euros mensuels net dont 274 de primes mais aucune spécifique à la fonctionnelle.
Munis de pinces, souffleuses, aspiratrices, laveuses ou karchers, ces agents assurent aussi bien la propreté des grandes artères avant et après chaque grand événement (Fête de la musique, 1er mai, Gay Pride, marathon...) que celle des murs (tags, affiches...) ou des 35 kilomètres de périphérique sur lesquels ils trouvent parfois des "sous-vêtements" ou des "bouteilles remplies d'urine".
En cas d'accident de la circulation, ils nettoient la chaussée. Récupérer des morceaux de tôle déchiquetée ou des résidus d'huile de moteur "ça va"; nettoyer "du sang humain ou de la cervelle... Tout le monde ne peut pas le faire", explique Didier, qui se souvient avec émotion de son premier accident: "une course poursuite; deux frères tués sur le coup, l'un éjecté".
Ce sont ses collègues "de la nuit" qui ont nettoyé la "rivière de sang" du Bataclan et les terrasses des cafés après la tuerie du 13 novembre 2015.
- Misère humaine -
A chaque manifestation, des bataillons d'agents et camionnettes vertes s'activent pour redonner leur lustre aux artères, une mission plus qu'éprouvée "avec les +gilets jaunes+ puis le mouvement social contre la réforme des retraites", raconte Didier.
Autre mission: les fins de deux grands marchés populaires de la capitale, Barbès et Belleville, où des "palettes entières de fruits et légumes" sont mises au rebut, dans lesquelles s'approvisionne la population la plus précaire.
La misère humaine, ils la côtoient en permanence, concède Didier, qui intervient régulièrement sur "réquisition de la police" pour "nettoyer" un "campement (sauvage) de migrants". "Les gens sont évacués, on prend tout ce qui reste et c'est brûlé directement à l'incinérateur. On ne touche à rien avec les mains", raconte-t-il.
Deux fois par mois, la fonctionnelle sillonne aussi les souterrains du forum des Halles où trouvent refuge des sans-abri et toxicomanes. Seringues, excréments et paquetages en tout genre s'amoncellent au milieu des rats.
Avec la précarisation de l'emploi, les postulants au métier sont de plus en plus nombreux, venant de tous horizons, y compris des femmes, cinq depuis 2019.
L'une d'elles, Aïcha, "gilet jaune sur le dos au quotidien et gilet jaune dans la rue", explique dans le documentaire, avoir été "manager en restauration rapide, nounou, courtière en assurance" avant de rejoindre la fonctionnelle.
Avant "de rentrer à la ville de Paris" en 1999, Didier était "meunier aux Grands Moulins de Paris". Il a aussi travaillé dans le commerce des épices. Quant à Richard, 56 ans, son chef d'équipe, il était "mécanicien fraiseur".