La fin programmée du prospectus publicitaire inquiète les salariés du secteur

Les distributeurs de prospectus publicitaires sont près de 20.000 en France à exercer dans des conditions difficiles et regardent avec inquiétude l'avenir d'un secteur dont le déclin s'accélère avec la mise en place de mesures anti-gaspillage comme le dispositif "Oui Pub".

"D'ici cinq ans, il n'y aura plus de distribution de publicité" dans les boites aux lettres, professe Youcef Saadat, 20 ans d'ancienneté comme distributeur chez Adrexo.

Il y a un an, ils étaient encore 18.000 dans son entreprise. Aujourd'hui, ils ne sont plus que 13.000. Chez Mediapost, seul autre acteur de la distribution de pub en France, on compte 8.100 distributeurs selon la CFDT, soit 3.000 de moins qu'il y a trois ans.

Dans ce contexte, la mise en place du dispositif "Oui Pub" dans 13 communes ou communautés de commune à partir de septembre apparaît comme un coup de grâce. Cette expérimentation, qui doit durer 31 mois, prévoit d'interdire la distribution d'imprimés publicitaires non adressés, sauf si un autocollant "Oui Pub" est visible sur la boite aux lettres, avant d'être éventuellement étendue.

"C'est dramatique pour nous", déplore Karine Felltin, salariée chez Mediapost depuis une dizaine d'années. Nombre d'employés du secteur sont précaires et embauchés à temps partiel, ce qui rend leur reconversion difficile.

"C'est un secteur où il n'y a pas eu d'anticipation, pas de formation et on est sur des gens qui ne sont pas en capacité de s'orienter sur une activité de publicité digitale", s'inquiète Aline Guerard, secrétaire nationale CFDT en charge de la distribution directe.

- Compléter la retraite -

Une bonne partie d'entre eux sont retraités et travaillent pour arrondir leurs fins de mois. En 2020, un distributeur sur cinq avait plus de 65 ans chez Adrexo et Mediapost selon un décompte de la CFDT.

Le groupe La Poste, qui est la maison mère de Mediapost, "a déjà dit qu'il ne les reprendrait pas" donc on se dirigerait plutôt vers "un accompagnement financier" pour des gens souvent en difficulté, assure Mme Guerard.

"Le plus âgé chez nous, je crois qu'il a 83 ans. A un moment il faut arrêter de dire qu'ils font ça parce qu'ils s'ennuient. Ce sont des gens avec des retraites de 800 euros", dénonce Karine Felltin.

Youcef Saadat, qui est aussi délégué syndical de la Confédération autonome du travail (CAT) sur son dépôt d'Argenteuil (Val-d'Oise), connaît lui "des agents de sécurité qui travaillent la nuit et qui ensuite dorment jusqu'à midi avant d'aller faire une tournée de distribution pour compléter leurs salaires".

Pourtant, "c'est un boulot d'esclave. Ça irait encore si on était payé convenablement", s'exclame Youcef Saadat en montrant ses fiches de paie de la semaine écoulée qui atteignent à peine les 100 euros.

- Attachement au prospectus -

Actuellement sur un contrat de 20 heures par semaine, il dit gagner "entre 4 et 500 euros par mois". "A la fin du mois, il ne vous reste rien avec le litre d'essence à deux euros", assure-t-il.

Karine Felltin, employée au dépôt de Neuilly-Plaisance (Seine-Saint-Denis) et déléguée syndicale CFDT, gagne elle 1.100 euros pour un contrat de 30 heures.

Malgré les conditions de travail difficile, les salaires bas et les perspectives peu réjouissantes, elle tient à défendre son métier et le prospectus publicitaire auquel "les gens que je côtoie sont attachés", assure-t-elle.

"Il y a des mamans qui me disent qu'elles attendent leur prospectus, parce que 8 euros de bon d'achat chez Lidl ou Carrefour, ça a son importance aujourd'hui", insiste Karine Felltin.

"Je connais une dame de 94 ans, elle m'attend chaque semaine", raconte Youcef Saadat. "A chaque fois, je discute dix minutes et elle me remercie de lui ramener ses prospectus. Elle me dit: +même s'il n'y en a qu'un, amenez-le moi+", poursuit-il, conscient de voir sa clientèle prendre de l'âge année après année.

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