La démission de Rugy, reflet d'une exigence accrue d'exemplarité (spécialiste en communication)

La démission de François de Rugy reflète une exigence accrue d'exemplarité des responsables politiques dans la société française, dans un contexte exacerbé par la crise des "gilets jaunes", explique à l'AFP le spécialiste en communication Arnaud Benedetti, professeur associé à la Sorbonne et auteur du "Coup de com' permanent".

QUESTION : Comment cette affaire a-t-elle mis en difficulté l'exécutif dans sa stratégie de communication politique, alors qu'il semblait avoir repris la main après la crise des "gilets jaunes" ?

REPONSE : Elle intervient dans un double contexte, qui rendait la position de François de Rugy extrêmement fragile, et faisait qu'il lui était devenu quasiment impossible d'exercer son métier de ministre.

D'abord, à partir du moment où le gouvernement et le premier ministre avaient fait de la préoccupation environnementale et écologique une priorité dans cet acte II du quinquennat, il est clair que François de Rugy ne pouvait plus produire une parole sereine et audible pour décliner la politique écologique du gouvernement. Sa capacité à défendre ses dossiers était particulièrement fragilisée par sa position personnelle.

Le deuxième aspect, c'est le contexte politique et social du pays que l'on vient de traverser ces six derniers mois. La crise des gilets jaunes traduit à sa façon une demande d'égalité très forte, et les images d'un ministre ou président de l'Assemblée nationale dînant de manière ostentatoire viennent heurter cette sensibilité très présente dans des couches importantes de l'opinion publique.

Q: François de Rugy s'est il retrouvé en porte-à-faux avec sa propre image ?

R: François de Rugy, dans son histoire personnelle, vient de l'écologie politique, un mouvement qui se caractérise en terme de communication politique par une demande à la fois d'une très grande transparence et d'une grande sobriété dans l'exercice du pouvoir, un peu à la mode scandinave.

Or, derrière les homards, qui ont servi un peu de prétexte dans cette affaire, on a des faits qui ressemblent à des accommodements par rapport à un comportement exemplaire, notamment ces dîners informels, cachés, avec des représentants de groupes d'intérêts, alors que l'écologie politique s'est construite justement en résistance aux lobbys.

Q : Cette séquence traduit-elle aussi une évolution au sein de l'opinion publique?

R : L'histoire de la République est faite de gouvernements qui ont eu affaire à des événements de ce type. Mais ce qui est nouveau, c'est qu'il y a un niveau d'exigence d'exemplarité qui semble aujourd'hui se relever de la part de l'opinion publique.

Du temps des Trente glorieuses, la situation économique était florissante, il y avait du plein emploi et la vie des Français s'améliorait sur le plan social, donc les opinions publiques étaient vraisemblablement plus tolérantes voire indifférentes à l'égard de ce type de faits. Aujourd'hui, le quotidien des Français est beaucoup plus compliqué et le degré de tolérance est moins élevé.

En outre, les enquêtes journalistiques comme celles de Médiapart trouvent dans l'agora numérique une caisse de résonance beaucoup plus forte, beaucoup plus martelante et déstabilisatrice pour les stratégies de défense des responsables politiques.

Le couplage réseaux/chaînes d'info est un puissant déstabilisateur des stratégies de communication, qui se sont construites autrefois sur l'idée de contrôler et domestiquer l'opinion publique. Aujourd'hui, avec des flux d'information incessants et des réseaux qui permettent à tout à chacun de s'exprimer, l'espace politico-médiatique devient de plus en plus difficile à contrôler pour les hommes politiques.