L'exercice était inédit en France: la Convention citoyenne sur le climat, qui s'achève dimanche, a été chamboulée par la crise du Covid 19. Mais l'épidémie a aussi mis beaucoup de ses thèmes au centre du débat public. Au point de pérenniser l'expérience?
Réunir 150 citoyens tirés au sort pour définir des mesures permettant "d'atteindre une baisse d'au moins 40% des émissions de gaz à effet de serre d'ici 2030 dans un esprit de justice sociale", pouvait sembler tenir de la gageure, ou de l'instrumentalisation, dans la foulée de la crise des gilets jaunes, déclenchée justement par une forme de taxe carbone.
Et si d'autres pays ont mené de telles conventions citoyennes (Canada, Irlande...), sa légitimité n'allait pas de soi en France. "Au départ, j'étais assez dubitative", se rappelle Barbara Pompili, présidente (LREM, ex-EELV) de la commission du Développement durable à l'Assemblée nationale.
"Consciente de la nécessité de réinventer des lieux de participation", elle juge toutefois que cette "autre forme de démocratie (...) mérite de tenter le coup". Et si les propositions risquent de faire écho à des mesures déjà prônées par des parlementaires ou ONG, celles-ci "avaient peut-être besoin de passer par un autre filtre de validation".
Les organisateurs de la convention ont pris soin de ne pas contester la légitimité du Parlement, se rendant à plusieurs reprises à des auditions. Pour Julien Blanchet, rapporteur général du comité de gouvernance de la convention et vice-président du Conseil économique, social et environnemental (Cese, qui abrite les travaux de la CCC), cette "nouvelle forme de démocratie augmentée" peut justement contribuer à "conforter" la démocratie représentative traditionnelle. A condition que les parlementaires veuillent "s'en servir comme levier".
"On attend que ça nous renforce", dit en écho Barbara Pompili, alors que 55 députés de divers groupes se sont engagés auprès des "citoyens" pour "concrétiser par la voie législative les mesures qui le nécessitent".
- "Débat systémique" -
Les thèmes de la CCC, déjà portés sur la scène mondiale par les mouvements de jeunes incarnés par exemple par la Suédoise Greta Thunberg, ont pris une nouvelle urgence avec la crise du Covid. Qui a par ailleurs bouleversé le calendrier de la Convention, initialement prévu pour s'achever fin janvier et déjà perturbé fin 2019 par le conflit sur la réforme des retraites.
Le "monde d'après" est désormais sur toutes les lèvres. Au risque de diluer les travaux de la CCC? Emmanuel Macron a réitéré fin mai son engagement dans un courrier: "des décisions fortes seront prises" sur les bases de la Convention. Tout en prévenant dimanche que la "reconstruction économique, écologique et solidaire (...) sera préparée durant tout l'été avec les forces vives de notre Nation".
"Ça ne peut pas mieux tomber," veut croire Yves Mathieu, co-directeur de "Missions publiques", structure d'organisation de dialogues citoyens qui accompagne la CCC. "La convention arrive avec une vision systémique, au moment d'un débat systémique".
Jean-François Julliard, directeur de Greenpeace France, est plus circonspect et espère que le président "s'en tiendra à sa promesse de reprise +sans filtre+ et ne considèrera pas la convention comme un menu à la carte où il peut piocher".
Si la Convention climat est considérée comme un succès, certains espèrent que ce nouvel instrument soit pérennisé, peut-être au sein d'un Cese remanié.
Mais pour cela, il faudra réussir "le passage à la société, pour que les gens s'y retrouvent", souligne Yves Mathieu. Et si tel est le cas "ça pourrait renforcer la confiance" du public souvent désabusé par la vie politique, mais aussi inciter les décideurs à reconduire une formule qui leur aura permis "d'aller plus vite et de faire mieux dans la prise de décision".
Chercheur en Science politique aux universités de Lausanne et Paris 8, Dimitri Courant a suivi nombre d'assemblées citoyennes, dont la CCC. Critique sur une partie de l'organisation et du déroulement - "débats assez peu contradictoires", "mélange des rôles d'organisation et de sélection des intervenants", longue intervention d'Emmanuel Macron en plein milieu des travaux de la CCC sous forme de "show jamais vu" du pouvoir politique dans une enceinte du genre... - il estime toutefois "qu'une expérimentation démocratique, ça se teste".
Et pour lui aussi c'est la concrétisation de l'exercice qu'il faudra scruter. "S'il y a un référendum sur des choses significatives qui peuvent poser problème" à l'exécutif, la CCC aura tenu son rôle. Mais si le pouvoir choisit juste "à la carte" les mesures qui lui conviennent, "la crédibilité sera ruinée".