Des influenceurs n'hésitant pas à "créer du clash", plongés dans le cadre solennel de l'Assemblée nationale. En quelques heures d'auditions, la commission d'enquête sur TikTok et les mineurs est devenue virale, forgeant au passage une notoriété inattendue à son président, le député socialiste Arthur Delaporte.
Les auditions se sont terminées cette semaine, et un rapport sera rendu en septembre sur les effets psychologiques de ce réseau social sur les mineurs. Mais pour le député, les travaux ont déjà commencé à payer.
"On touche des gens qui ne s'intéressaient pas forcément à la politique", se félicite celui que les lycéens en visite reconnaissent désormais dans les couloirs de l'Assemblée. "Je n'ai jamais reçu autant de mails de remerciements pour nos travaux qu'après l'audition", début juin, de ces influenceurs jugés problématiques.
Blagues potaches, échanges vifs... Malgré le cadre guindé de la commission d'enquête, l'un d'eux, le masculiniste Alex Hitchens, entendu en visioconférence, a même raccroché au nez des députés, stupéfaits. Ces extraits ont ensuite tourné en boucle sur internet, le footballeur star Kylian Mbappé réagissant, hilare, à l'un des montages.
Cette "rencontre de deux univers" avait "un effet détonnant", concède Arthur Delaporte, 33 ans, tout en regrettant que sur les plus de 150 personnes auditionnées durant plusieurs dizaines d'heures, seuls quelques extraits aient été retenus.
"On est peut-être rentré dans leur système, d'une certaine manière, à l'insu de notre plein gré", reconnaît-t-il, parlant d'une "mise en abîme" de la culture du buzz sur laquelle la commission enquêtait.
Mais entendre ces influenceurs a aussi été utile, soutient-il, par exemple pour révéler leur "sentiment d'impunité", et leur "méconnaissance du cadre de la loi". "Ils nous ont rapporté des éléments sur leur modèle économique, et la façon dont ils dramatisaient les contenus", énumère aussi le député.
- Engrenage -
Les contenus problématiques, et la question de leur modération, ont été au coeur des débats de la commission parlementaire.
Tout comme la question de l'algorithme, qui "capte l'attention" pour "maintenir les gens sur l'application", avec des effets "désocialisant et de perte de sommeil", détaille M. Delaporte.
Également en question : l'effet "rabbit hole", qui enferme dans un seul type de contenu.
"Si on est un peu triste, qu'on écoute une musique triste qu'on aime bien, TikTok va le détecter et clac, c'est l'engrenage", jusqu'à des contenus poussant à "la scarification ou au suicide", affirme-t-il.
Les députés ont notamment auditionné des responsables de TikTok, qui semblent "refuser de considérer qu'ils ont une responsabilité première dans les contenus présentés", estime Arthur Delaporte.
Leur chiffre de 4,5% de mineurs présents sur la plateforme est largement sous-estimé, selon lui.
Quant aux pouvoirs publics, ils "sont assez dépassés", juge-t-il.
- "Baignade surveillée" -
Le président Emmanuel Macron s'est engagé à interdire les réseaux sociaux aux moins de 15 ans.
Mais le député est sceptique. "Il ne faut pas détourner l'attention en disant qu'il y a une solution miracle", qui serait de toute façon facilement "contournable" à ce stade, sans contrôle d'âge effectif, tacle-t-il.
Si une interdiction à 13 ans peut s'entendre - la limite déjà théoriquement en place pour s'inscrire sur TikTok -, la placer à 15 ans n'est globalement pas souhaité par les représentants de familles auditionnés, dit-il.
Des questions de périmètres se posent aussi. WhatsApp sera-t-il inclus ? Et dans ce cas, "est-ce qu'on interdit aux jeunes tout ce qui donne accès à un lien social extérieur à celui de la famille", dans une période "de construction de soi, de son identité et de son émancipation ?", demande le député.
"La priorité devrait être le contrôle de l'âge et non l'interdiction aux moins de 15 ans", martèle-t-il.
Dans son "monde idéal", un tel contrôle permettrait un accès à un espace "plus sécurisé" pour les mineurs, avec des "limitations de temps d'écran, moins de pubs", ou encore une mise en avant de certains contenus explicatifs.
En somme une sorte de "baignade surveillée" dans l'"océan des réseaux sociaux".