En l'absence de loi, de nombreuses collectivités ont mis en place depuis 2023 des congés menstruels pour leurs agentes souffrant de règles douloureuses, profitant d'un vide juridique qui menace aujourd'hui de se retourner contre ces mesures.
Comme il y avait "un trou dans la raquette", "on a pris une décision politique", a expliqué mardi soir à la presse Corine Lemariey, vice présidente de la Métropole de Grenoble.
En décembre, la collectivité a ainsi élargi le mécanisme des "autorisations spéciales d'absence" (ASA), qui permet de donner aux agents publics des jours de repos notamment pour raisons familiales, afin de l'appliquer aux règles douloureuses, aux interruptions de grossesse ou pour aligner le congé du second parent sur le congé maternité après une naissance.
Trois communes de l'agglomération - Grenoble, Échirolles et Seyssinet-Pariset - toutes dirigées par une majorité de gauche, avaient déjà pris des mesures similaires ces derniers mois afin de "faire avancer l'égalité femmes-hommes".
Mais la préfète de l'Isère vient de saisir la justice administrative pour bloquer ces dispositifs. Le cadre légal en vigueur "n'ouvre pas le droit au bénéfice d'une ASA pour raison de santé", a-t-elle plaidé, évoquant également une "rupture d'égalité et de parité" entre agents de la fonction publique territoriale ou d'Etat.
"Une telle disposition n'est pas prévue par le code des collectivités locales", a également estimé en octobre le préfet du Bas-Rhin, Jacques Witkowski, qui a attaqué en justice le "congé de santé gynécologique" adopté par l'Eurométropole de Strasbourg quelques semaines plus tôt. "Il est déjà possible d'obtenir un arrêt de travail pour raisons gynécologiques auprès de son médecin", a fait valoir le préfet.
- "En forme au travail" -
La décision du tribunal de Strasbourg est en attente. A Grenoble, le tribunal administratif examinera le 6 février les recours de la préfète.
Une première décision est déjà tombée à Toulouse: en novembre, un juge des référés a suspendu des délibérations prises notamment par la commune du Plaisance-du-Touch (Haute-Garonne) pour donner des jours ou aménager le temps de travail d'agentes souffrant lors de leurs règles.
"Il y a un vide juridique, il n'y a pas de jurisprudence sur les ASA, donc n'importe quel maire ou président de collectivité peut instaurer des ASA", assure le maire sans étiquette de cette ville de 20.000 habitants, Philippe Guyot, citant en exemple le nombre de jours octroyés pour la mort d'un proche.
"La préfecture nous a dit que les femmes n'ont qu'à déclarer un congé maladie. Mais ce n'est pas une maladie", s'agace l'élu, "et cela entraîne un jour de carence". Pour lui, c'est une question d'équité: "tout le monde a le droit de venir en forme au travail".
Mais le juge toulousain a estimé que "l'expérimentation devait être autorisée par une loi" et suspendu son application en attendant une décision sur le fond.
- "Ecrire le Droit" -
Rien n'est joué, il n'y a pas encore "de jurisprudence", a relevé avec optimisme le maire de Seyssinet-Pariset Guillaume Lissy, lors d'une conférence de presse conjointe avec les autres élus isérois concernés par le recours de la préfète du département.
"On a envie d'écrire le Droit !", a-t-il poursuivi en regrettant l'apparition d'une "inégalité territoriale car dans certains territoires, les préfets n'ont pas la même lecture juridique". Certaines expérimentations, comme celle menée à Lyon "ne sont pas retoquées", a-t-il souligné.
Cette situation "sert la cause d'un cadre légal et universel", en conclut Maud Leblon, directrice de l'association Règles Elémentaires.
"Si on avait un arrêt menstruel intégré aux arrêts de travail classique, ça couperait court à ces débats", avance-t-elle, en défendant un arrêt de travail "adapté" qui réponde aux questions de carence et de reconduction.
Après l'adoption d'une loi en Espagne en 2023, plusieurs initiatives ont été lancées au Parlement, mais elles ont toutes échoué, à l'instar d'une proposition de loi socialiste rejetée en février au Sénat. Le ministre de la Santé de l'époque, Frédéric Valletoux, s'était opposé à cette mesure, évoquant notamment le "risque de discrimination à l'embauche".
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