La bataille de l'eau bat son plein en Ile-de-France

La bataille bat son plein en Ile-de-France autour de deux choix pour gérer l'eau demain, sur fond de réchauffement climatique et de pollution: investir massivement dans des usines de dépollution de l'eau ou miser d'abord sur la protection des nappes et rivières.

Les régies publiques chargées d'alimenter en eau potable Paris et une partie des Franciliens ont appelé lundi à un "Grenelle de l'eau" pour la région, au moment où se prépare un coûteux projet d'usines qu'elles jugent énergivore, non-écologique et anti-démocratique.

Au coeur de cette bataille, le projet du Sedif, premier syndicat des eaux de France (133 communes autour de Paris, 4 millions d'usagers), de doter ses trois usines de technologies promettant une "eau plus pure", un projet à près d'un milliard d'euros qui pour les contestataires est "une fuite en avant dans le tout-technologique" ignorant l'enjeu de la préservation de la ressource.

"Ce méga-projet aura d'importantes conséquences pour toute l'Ile-de-France et le bassin versant Seine Normandie", a dit Dan Lert, président d'Eau de Paris, au côté d'intercommunalités passées ou en cours de passage en régie publique, le tout représentant plus de 4 millions d'habitants (un tiers des Franciliens).

Cette "réponse est inadaptée à l'Ile-de-France" et au défi du climat, et entraînera "l'explosion de la consommation énergétique, le report des pollutions sur d'autres acteurs" via les rejets de ces traitements, a énuméré, M. Lert, adjoint (EELV) d'Anne Hidalgo, demandant "le retrait du projet" et "un grand débat démocratique sur l'eau dans la région, avec l'État".

Le Sedif, présidé depuis 1983 par André Santini et dont la délégation de service public confiée à Veolia depuis 100 ans doit être renouvelée, vise avec la filtration par membranes "haute performance" une eau débarrassée d'un maximum de micropolluants, sans chlore ni calcaire.

Ce projet à 870 millions (avant inflation et crise de l'énergie), une première à cette échelle en France, est prévu pour une mise en service en 2030-2032. Il augmentera la consommation électrique des usines, le volume d'eau prélevée (+15%) et le prix (de 36 à 48 euros par an par foyer), admet le syndicat, qui juge la hausse de facture "mesurée" pour les services rendus.

- La France et les pesticides -

Pour Michel Bisson, président de Grand Paris Sud (sur Essonne et Seine-et-Marne), "il n'est pas possible qu'un syndicat propose ses propres normes de qualité de l'eau", à côté des normes européennes: "C'est une question de confiance citoyenne".

Le projet du Sedif fait l'objet d'un débat public obligatoire, sous l'égide de la Commission nationale du débat public (CNDP).

Mais ce débat présente insuffisamment la vision alternative d'"une gestion intégrant une préservation de l'eau en amont et un modèle industriel de juste traitement de l'eau", estime Jean-Claude Oliva, vice-président d'Est Ensemble, neuf villes de Seine-Saint-Denis (Pantin, Montreuil, Bobigny...) ayant décidé début 2022 de sortir du Sedif.

La maire Anne Hidalgo doit ainsi inaugurer jeudi une usine d'Orly modernisée, avec renouvellement régulier des filtrages par charbons actifs, pour 48 millions d'euros. Eau de Paris met en avant la prévention, avec une aide aux agriculteurs à réduire les pesticides (un programme de 47 millions d'euros sur douze ans).

Le Sedif de son côté souligne que ses ressources, à 97% des eaux superficielles (Seine, Marne, Oise), sont complexes à dépolluer.

"En amont de nos prises, il y a les agriculteurs, les industriels, c'est titanesque, un combat national", dit-on, alors que la France est le premier acheteur de pesticides en Europe. "On ne demande qu'à se mettre autour de la table avec l'État et tous les acteurs concernés", mais en attendant, "on préfère que les polluants soient dans la ressource plutôt qu'au robinet".

Dénoncant "une fausse sécurité" et "un permis de polluer", M. Oliva, d'Est Ensemble, en appelle à l'Etat.

Pour l'Oise, les polluants PFAS, composants chimiques baptisés "polluants éternels", par exemple sont liés à une plateforme chimique, dit-il: "rien n'empêche qu'une action soit imposée à la source, comme pour Arkema en région lyonnaise. La solution existe, il faut avoir le courage de s'y attaquer".

Dan Lert de son côté a écrit au préfet pour demander l'interdiction des pesticides sur les aires de captage d'eau prioritaires pour Paris.