Jean-Guillaume Péladan, Directeur de la Stratégie Environnement chez Sycomore AM.
D.R
Dossiers

ISR : la NEC, un outil pour mesurer le degré d'alignement à la transition verte

À l'heure où la pression réglementaire et sociétale incite investisseurs et assets managers à toujours mieux intégrer les risques climat dans leurs stratégies, Sycomore AM a développé une métrique pour noter le degré d'alignement des entreprises et des portefeuilles à la transition écologique. Jean-Guillaume Péladan, gérant et responsable de la stratégie environnementale de la société de gestion, revient sur la Net Environmental Contribution.

En quoi consiste exactement la Net Environmental Contribution et quelle utilisation en fait-on ? 

La Net Environmental Contribution, NEC, est un outil permettant de mesurer simplement le degré d’alignement des entreprises et des portefeuilles avec la transition environnementale sur une échelle unique graduée de -100 % à +100 %. La NEC peut servir à trois choses : d’abord, à évaluer le risque de transition, ce qui fait partie du travail d’un asset manager. Ensuite, à faire du reporting et à rendre des comptes, dans le cadre notamment des recommandations internationales de la TCFD (Taskforce for Climate-related Financial Disclosures) ou de l’article 173 de loi sur la Transition Energétique pour la Croissance Verte en France, qui demande à chaque acteur financier de communiquer sur sa contribution à la transition écologique et énergétique et aux objectifs de lutte contre le réchauffement climatique. Enfin, la NEC sert également à asseoir des stratégies d’investissement responsable et d’impact investing, en permettant d’identifier et de trier les actifs qui sont alignés avec la transition environnementale et ceux qui y sont opposés.

Chez Sycomore AM, nous pratiquons ces trois utilisations, puisque la NEC est systématiquement intégrée dans notre analyse extra-financière ainsi que dans nos reportings, dans lesquels apparaissent la NEC des fonds et celle des indices de référence. Dans notre fonds actions Sycomore Eco Solutions par exemple, qui a été le premier en France à recevoir le label TEEC (récemment devenu Greenfin), nous investissons uniquement dans des entreprises qui affichent des NEC strictement positives.

Aujourd’hui, beaucoup de reportings intègrent l’indicateur carbone. Pourquoi n’est-il pas suffisant selon vous ?

Si l’empreinte et l’intensité carbone ont le mérite d’être des indicateurs répandus, ils présentent plusieurs limites rendant leur utilisation impossible pour décarboner un portefeuille ou pour juger de l’alignement avec la transition environnementale. Par exemple, si nous prenons les empreintes carbones de Ferrari, de Zalando, de Veolia et d’Alstom, il apparaît que Ferrari présente le meilleur score, c’est-à-dire la plus faible empreinte, en tonnes eq. CO2 par an et par M€ investi, suivi de Zalando et très loin devant Alstom et Veolia, qui ont des empreintes respectivement 100 et 500 fois plus élevées. Ce qui signifierait que pour décarboner un portefeuille, il faudrait acheter les deux premiers titres et vendre les deux autres. Évidemment, cela ne fonctionne pas et le biais est amplifié par le fait que le diviseur soit la valeur de l’entreprise, qui dépend elle-même du cours de bourse. Cherchez l’erreur !

Une autre limite majeure réside dans le fait que les autres externalités environnementales ne sont pas prises en compte, puisque l’indicateur carbone fournit une information qui est aveugle par construction sur la partie biodiversité, eau, déchets ou qualité de l’air. Si l’on prend les emballages en plastique par exemple, l’empreinte carbone ou l’intensité carbone (c’est-à-dire les émissions d’équivalent CO2 rapportées au chiffre d’affaires) est généralement assez faible, et rien ne signale que nous sommes en train de constituer un septième continent flottant dans le Pacifique ni d’empoisonner la totalité des espèces vivantes avec des micro plastiques. La NEC propose justement de regarder les impacts sur l’ensemble du capital naturel.

Justement, comment fonctionne-elle exactement ?

La NEC repose sur 15 référentiels balayant l’ensemble des fonctions économiques, et les indicateurs utilisés vont dépendre de chaque activité en fonction de la chaîne de valeur dans laquelle elle intervient, pour faire simple son secteur. Ces indicateurs couvrent cinq domaines d’impact que sont le climat, la biodiversité, les déchets/ressources, la qualité de l’air et l’eau. Par exemple, pour les transports, nous calculons la NEC en fonction des impacts sur la qualité de l’air et le climat, pondérés à 50/50. Concernant l’alimentation, il s’agit des impacts sur la biodiversité, le climat et l’eau.

Une autre caractéristique essentielle réside dans l’approche en analyse du cycle de vie : dans chaque industrie ou chaîne de valeur, la NEC s’intéresse concrètement à l’usage final du produit ou du service concerné : par exemple, la NEC d’un prêt à un producteur d’électricité avec des centrales à charbon est celle des centrales à charbon, soit -100 %, et à l’opposé, une banque, comme Umweltbank en Allemagne, qui finance des centrales de production d’énergie renouvelable et des bâtiments énergétiquement performants, a une NEC très positive de +80 %. Ainsi, alors que Veolia et Suez ont une très mauvaise empreinte carbone, notamment à cause de leurs usines d’incinération et de recyclage de déchets, leur NEC est positive. De même, un fabricant d’isolants en laine de verre ou laine de roche a un processus très énergivore, donnant des indicateurs carbone très mauvais, alors que les analyses de cycle de vie montrent que l’isolant, pendant sa durée de vie, permet d’économiser entre 50 et 100 fois l’énergie qui a été nécessaire pour le produire. Sa NEC est là encore très positive, car l’usage final de l’isolant a une contribution nette très positive.

À quels autres enjeux répond le développement d’un tel outil pour les acteurs financiers ?

Il existe aujourd’hui plusieurs leviers de pression qui poussent les acteurs à mieux rendre compte de l’impact positif et négatif des activités financées. Au niveau de la hard law, hormis l’article 173 qui devrait bientôt être transposé à l’échelle européenne, la responsabilité fiduciaire exige d’intégrer l’ensemble des risques dans les décisions de gestion. Si vous ne le faites pas sur le climat ou l’environnement, il apparaît de plus en plus que vous êtes en faute vis-à-vis de cette obligation légale dans le monde anglo-saxon. Ensuite, côté soft law, il y a non seulement les recommandations de la TCFD, qui aujourd’hui sont reprises par les PRI (Principles for Responsible Investment), mais aussi la forte demande des investisseurs pour de nouveaux indicateurs pertinents. Les ONG participent également à cette pression en réclamant que des fonds prétendus verts le soient vraiment. Il y a donc désormais une tension et une motivation de la part des acteurs pour lutter contre le green washing, le social washing ou encore l’ODD (Objectifs de Développement Durable) washing, avec une demande d’information fiable et transparente. La dynamique actuelle française et européenne autour des labels incite également à aller dans cette direction.

La NEC se structure également autour d’une démarche collaborative…

Nous sommes convaincus qu’une métrique n’a de l’avenir que si elle est transparente, internationale et ouverte. C’est pour cette raison que nous avons décidé, avec nos partenaires Quantis et I Care & Consult, de la passer en open source cette année et de l’ouvrir à tous en lançant l’initiative NEC. Opérée par Quantis, l’initiative a pour but de partager et mutualiser l’effort de publication, de R&D, de pédagogie, de formation ou encore de comparabilité et également d’aller encore plus vite face à l’urgence des crises environnementales.

Retrouvez l'intégralité du deuxième numéro d'Investir Durable, le magazine de la finance durable.