L'interdiction en France des réseaux sociaux aux moins de 15 ans d'ici "quelques mois", annoncée par le président Emmanuel Macron mardi après le meurtre d'une surveillante par un collégien, suit un mouvement lancé par l'Australie pour tenter de limiter l'exposition des plus jeunes à certaines dérives, sans solution technique évidente jusqu'ici.
- Pourquoi certains pays souhaitent-ils une interdiction ?
L'utilisation des réseaux sociaux par les enfants et adolescents a suscité ces dernières années des inquiétudes, concernant notamment le temps passé devant les écrans et le manque de modération sur certaines plateformes.
Selon Olivier Ertzscheid, maître de conférences en sciences de l'information et de la communication à l'université de Nantes (ouest de la France) interrogé par l'AFP en septembre 2024, "deux grandes clés d'explication" existent.
Il pointe une "évolution de la connaissance" des réseaux sociaux et de leur modèle économique qui repose sur une captation de l'attention.
Mi-mai, le président français a également mis en garde contre certaines dérives, notamment "une épidémie de harcèlement sur ces réseaux, de dérèglement du rapport entre les garçons et les filles".
S'agissant de gouvernements conservateurs, Olivier Ertzscheid souligne également une "peur intrinsèque des mouvements de jeunesse", qui peut conduire à une volonté de contrôle.
- Quels pays ont interdit les réseaux sociaux aux plus jeunes ?
L'Australie a frappé fort en votant fin 2024 l'interdiction des réseaux sociaux aux moins de 16 ans, qui doit s'appliquer d'ici à la fin de l'année. Cette nouvelle loi ne fournit toutefois quasiment aucun détail sur ses modalités d'application, si bien que certains experts ont exprimé des doutes sur la faisabilité technique de cette interdiction.
Le gouvernement néo-zélandais a proposé en mai une loi similaire, tandis qu'en Espagne, une mesure semblable a été intégrée à un projet de loi qui devrait être examiné par les parlementaires, sans calendrier précis.
En Norvège, le gouvernement s'est donné pour objectif de fixer un seuil d'accès à 15 ans mais le pays ne dispose à ce stade pas d'échéance, ni de piste pour le mettre en oeuvre.
En France, une loi votée en juin 2023 a instauré une "majorité numérique" à 15 ans mais celle-ci n'est pas encore entrée en vigueur, dans l'attente d'une réponse de la Commission européenne sur sa conformité au droit européen.
Mercredi, la ministre française en charge du Numérique Clara Chappaz a indiqué sur X qu'au niveau européen, "7 pays (sont) engagés pour l'exigence d'une vraie vérification d'âge" pour accéder aux réseaux sociaux: la France, la Grèce, le Danemark, l'Espagne, l'Italie, Chypre et la Slovénie.
Le cas des régimes autoritaires offre de rares exemples d'interdictions efficaces car internet y est étroitement contrôlé par l'État.
La Chine, qui a instauré des mesures de restriction d'accès pour les mineurs depuis 2021, exige ainsi l'identification via un document d'identité. Les moins de 14 ans ne peuvent passer plus de 40 minutes par jour sur Douyin, la version chinoise de TikTok, et le temps de jeu en ligne des enfants et adolescents est limité.
- Quelles sont les difficultés d'une telle interdiction ?
Pour Olivier Ertzscheid, la mise en oeuvre de ces mesures soulève essentiellement des problèmes de compatibilité entre droit et technique.
"Juridiquement, cela existe déjà: quand vous vous enregistrez sur une plateforme, on vous demande votre âge", remarque-t-il. Mais, pour instaurer un contrôle efficace, "on est obligé d'ouvrir une brèche dans le domaine du respect de la vie privée", estime l'enseignant.
Certaines applications, comme le réseau social français Yubo, font appel à la société britannique Yoti, qui a développé un système d'évaluation de l'âge à partir d'une photo fondé sur l'intelligence artificielle. Mais le déploiement de ces outils reste rare car, au-delà des aspects techniques, ils doivent être conformes à des exigences légales.
Garante des droits des Français, la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) signale ainsi que le contrôle de l'âge conduit "à collecter des données personnelles et présente des risques pour la vie privée".
Conformément au Règlement européen de protection des données (RGPD), des outils comme la reconnaissance faciale voient aussi leur usage très limité.
S'agissant des "tiers de confiance", qui permettraient d'authentifier l'âge d'un utilisateur sans communiquer son identité auprès du réseau social, "de plus en plus de financements publics comme privés sont engagés sur ce type de solution", constate le chercheur.
Interrogés par l'AFP en mai sur l'éventualité d'une interdiction avant 15 ans, les principaux réseaux sociaux, qui ont placé à 13 ans la limite d'âge pour s'inscrire, n'avaient pas donné suite.
Et comme l'a montré début juin en France le géant des sites pornographiques Aylo, certaines plateformes sont prêtes à couper leurs services dans un pays qui impose une identification obligatoire à la connexion.
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