La Fondation Ice Memory s'est fixé pour objectif de prélever des carottes de glace sur 20 sites à travers le monde pendant une vingtaine d'années afin de les préserver dans la station franco-italienne Concordia dans l'Antarctique pour les chercheurs du futur.
Son président, le glaciologue Jérôme Chappellaz, explique les raisons de ce projet et en expose quelques détails.
- Quel est l'objectif de l'initiative d'Ice Memory ?
Les glaciers renferment une mémoire de la Planète. Quand on fore à travers un glacier, on remonte des couches de glace qui se sont formées il y a longtemps (...) quelques décennies, quelques centaines de milliers d'années voire le million d'années pour les glaciers les plus épais et les plus stables.
Notre travail de glaciologues consiste à analyser le rendu de cette glace pour reconstituer l'évolution de paramètres décrivant l'état de l'environnement terrestre. Ces paramètres peuvent être la température, la quantité de neige qui va tomber au cours du temps, des informations chimiques qui nous renseignent par exemple sur l'intensité de la formation d'embruns marins sur les océans (...), les gaz à effet de serre.
Les technologies vont évoluer (...) mais ce dont on est absolument certain c'est que la matière première, elle, aura disparu pour beaucoup de glaciers. (...) Notre responsabilité en tant que glaciologues de cette génération, c'est de faire en sorte d'en préserver un petit peu.
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Le choix se porte sur des glaciers qu'on a déjà étudiés et dont le carottage a démontré qu'ils sont pertinents. (...) Il y a des glaciers qui ont déjà subi les conséquences du réchauffement climatique, c'est-à-dire que la fonte qui se produit en surface conduit la neige de surface à se transformer en eau qui descend dans les couches inférieures du glacier et altère leur composition chimique.
Svalbard est l'endroit du monde selon les relevés météorologiques où cela se réchauffe le plus vite. C'est un glacier de qualité qu'on a étudié depuis plus de 20 ans.
- Ces carottes, si elles doivent être étudiées, seront-elles fondues et disparaîtront à tout jamais ?
Notre pari pour l'avenir c'est que, de plus en plus, les méthodes d'analyse de la glace seront non destructives. Aujourd'hui pour beaucoup d'analyses on est obligé de prendre un sous-échantillon de la carotte de glace et on va le faire fondre, le broyer et il termine à l'évier. De plus en plus on développe des méthodes non invasives, notamment optiques, qui permettent d'obtenir des analyses sans pour autant abîmer la carotte. Ce qu'on espère c'est que dans les décennies et les siècles à venir les scientifiques pourront venir à Concordia avec leur instrument et (...) laisser les carottes intactes.
- Pourriez-vous nous parler des prochaines missions ?
La prochaine opération aura lieu au Tadjikistan, c'est le glacier Fedtchenko. C'est un glacier très long (70 km). Son point de départ est un haut plateau qui fournit de très bonnes conditions (...) on a de la glace ancienne et facile à dater. Cette opération devait se dérouler en 2022 et hélas l'équipe (...) a été confrontée à de grosses difficultés logistiques.
Normalement cette année aura lieu l'opération de reconnaissance (puis le forage ensuite) avec je pense un an entre les deux.
On est au coeur du continent eurasien et donc sous influence forte des pollutions venu de l'est de l'Europe.
Il y a toute la chaîne himalayenne à couvrir et ça va être essentiellement par la Chine, qui a accès à des glaciers très intéressants.
On a des objectifs en Alaska.
On a quelques objectifs un peu exotiques. Notamment nous aimerions pouvoir conduire une opération sur le glacier de l'île Heard, c'est une île dans l'Océan indien qui appartient à l'Australie, c'est une réserve naturelle couverte de glace et très difficile d'accès. On sait que c'est un endroit où la glace est vraiment en danger.